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  • : Julien Baret de la Roussonnière
  • : itinéraire géographique, historique et humain de l'honnorable Julien Baret de la Roussonnière, le premier Baret de la Réunion.
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  • Tout simplement un agenda perpétuel, autour  de Zamet Baret, vers 1500 à un descendant, Alcide Baret, directeur d'école, et poète.
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15 octobre 2013 2 15 /10 /octobre /2013 04:20

Figurant parmi "les diverses fortunes de mer", la piraterie est l'oeuvre de pirates, de forbans ou de flibustiers.

Des termes synonymes désignant des bandits qui courent les mers, pour leur propre compte, attaquent et pillent indistinctement tous les navires qu'ils rencontrent, ennemis, ou même amis. Ils n'ont pas de pavillon particulier, mais arborent indifféremment ceux de toutes les nations du monde pour mieux se déguiser selon les circonstances.

Pour se distinguer, notamment lors de l'abordage, ils hissent le "Jolly Roger", nom donné au pavillon avec un ou plusieurs symboles choisis par tous les pirates. La piraterie commence dés 1560 et se termine vers 1720. 

 

  un Jolly Roger

 

 

A l'île Bourbon, le plus terrible et le plus célébre pirate a pour nom Olivier Vasseur, né à Calais vers 1680, dit. La Buse, car il avait l'art de tomber sur ses victimes, tel un oiseau de proie. En septembre 1724, La Vierge de Grâce sur laquelle se trouvait Julien , fut chargée de lui porter une promesse d'amnisitie faite par le gouverneur Desforges Boucher. Vasseur ne donna aucune suite à l'invitation, et préféra rester bien caché à Madagascar.  Il fut bientôt découvert, fait prisonnier et amené à Bourbon; en avril 1730. Jugé à Saint-Paul, par le Conseil,  il fut condamné trois mois plus tard... à estre pendu et estranglé jusqu'à que mort s'ensuive à une potence. Son corps mort, y restera  vingt quatre heures

et sera ensuite exposé au bord de la mer.

 

portrait de la Buse

  

 Nonobstant tous leurs innombrables forfaits, on ne peut s'empécher d'avoir une réelle sympathie pour certains bandits. Une fois, fortune faite,ou non, et surtout par crainte des corsaires du roi lancés à leur poursuite, beaucoup  s'installeront à Bourbon, constitueront des.familles, occuperont des postes officiels. Ils obtiendrons une parfaite honnorabilité, et beaucoup de leurs nombreuses actions furent bénéfiques.

 

" Il ne faut pas se le dissimuler, c'est en suivant l'exemple de ces coureurs du monde  instruits par leur voyage et par leur séjour dans les colonies des Indes et d'Amérique, que les habitants de Bourbon apprirent peu à peu à tirer parti des terres qu'ils n'avaient fait que défricher pour les rendre propres à devenir des pâturages.
 On étendit la culture des vivres. Celle du tabac fut plus d'importance. La canne à sucre ne fut plus laissée à l'état sauvage.

Il y eut dés lors une suite dans les idées, dans les travaux agricoles. Tout cela on le doit à la bonne initative des forbans."

                                   I Guest, bibliothécaire des colonies, vers 1800.

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14 octobre 2013 1 14 /10 /octobre /2013 06:14

Au tout début de l'année 1723, la Compagnie des Indes envisage de mettre sur pieds pour l'année suivante une importante expédition à destination des Indes Orientales en vue de ramener toutes sortes de richesses exotiques (1). Elle est placée sous le haut commandement général du Sieur Renault des Boisclairs, un officier de marine prêté par le roi à la Compagnie pour former à la navigation ses officiers et ses équipages. C'est une flotte de cinq vaisseaux totalisant 3260 tonneaux, sur lesquels ont pris place 759 soldats et hommes d'équipage. Elle est composée de deux navires de 600 tonneaux, le Neptune et l'Apollon, de l'Hercule, 750 tonneaux et du Duc de Chartres, le navire amiral. Celui-ci est commandé par des Boisclairs. 

La frégate la Vierge de Grâce, armée par Monsieur de la Franquerie le Brun, et placée sous le commandement d'un jeune officier de marine de guerre (2), l'enseigne de vaisseau Pardaillan de Gondrin Antoine François (3). Elle aura le rôle très important de servir de bateau de liaison et d'assistance, mais aussi d'apercevoir de loin tout bateau et s'assurer de son identité 

Le Neptune, placé sous le commandement de Etienne Perrier Aimé, est le premier à prendre le départ, le samedi premier janvier 1724(4). Les quatre autres, n'ayant pas finis les opérations de chargement sont restés à quai jusqu'à la fin du mois. Puis, une fois prêts, ils se sont mis bien à l'abri de chaque coté de l'estuaire en attendant un vent favorable, "Le vent de l'Inde" Ils l'attendront durant sept semaines avant de pouvoir partir, et ensemble le jeudi 24 février.

Ordre est donné aux commandants de se rassembler à Port Bourbon en Ile de France. Soit dans un délai de quatre à cinq mois selon la taille des navires et les péripéties enregistrées

On ignore quelle sera la distance parcourue et la durée du voyage ; tout dépend des courants, des vents, des aléas, du hasard, de la qualité de l'équipage et de l'expérience du capitaine. (5)

Après Groix, la Vierge de Grâce poursuit sa route, contourne le redoutable Golfe de Gascogne en longeant les côtes de France, puis celles d'Espagne, du Portugal, passe au large de l'île de Madère, de l'archipel des Açores, et l'archipel des Canaries au bout d'une quinzaine de jours.

Enfin; le vaisseau entre dans la zone des vents permanents du nord-est et reconnaît les îles du Cap vert deux semaines plus tard. Et là ce ne sont que vents contraires, calmes suivis de grains, longs jours de navigation erratique sous un soleil de plomb. Il faut pour le capitaine beaucoup d'habileté et d'expérience. Bien malin celui qui sait exactement où il est : ce n'est qu'en passant le Cap de Bonne Espérance qu'on se repère vraiment. Encore faut il le passer. Certains doivent s'y reprendre à deux ou trois fois, s'ils n'ont pas su se glisser dans les grands vents qui soufflent vers l'est: trop au nord et on a la brise dans le nez : trop au sud et ce sont les tempêtes géantes des quarantièmes rugissants avec des vagues de 16 à 18 mètres de haut. Franchi le cap, le bateau pour l'Extrême-Orient glisse tout penché sur la grosse mer, le long du trentième parallèle. Il ne remontera qu'arrivé en plein cœur de l'Océan Indien, avec un vent de coté, coupant ainsi les alizés du sud est, nettement plus favorables à la navigation (6).

Le voyage par mer comporte toujours de multiples "fortunes de mer", accidents, naufrages, des actes de mutinerie ou de piraterie, surcharges, incendies, l'éclair, maladies diverses (7)
Nous n'avons pas le journal de bord du voyage, et pour la période qui nous intéresse, il y a peu de récits de traversés, ou de journaux de voyages des navires. Il faut attendre prés d'un demi-siècle, et par conséquent une bien plus grande expérience maritime et certainement des améliorations notoires pour disposer d'un récit fiable sur les conditions de traversées. Le témoin n'est autre que Henry Bernardin de Saint-Pierre, l'auteur de "Paul et Virginie". Dans un ouvrage paru en 1773 sous le titre de "Voyage à l'Ile de France" Bernardin de Saint-Pierre note avec précisions un grand nombre d'observations sur l'embarquement des navires, les difficultés de la traversée, le comportement des hommes, tous les événements quotidiens, l'alimentation, les maladies, l'état de la mer, les animaux rencontrés…etc. Cet écrivain sera notre témoin privilégié. Nous lui laisserons la plume, toutes les fois qu'il sera nécessaire. On ne peut en effet que s'effacer devant un membre de l'académie française.

 

Il embarque le 3 mars 1768, en qualité de Capitaine d'infanterie, ingénieur des colonies, sur un navire de 700 à 800 tonneaux, armé de 20 canons, avec un gros équipage de 146 hommes, chargé de matures pour le Bengale. C'est "Le Marquis de Castries", un navire récent de la Compagnie des Indes, construit à Lorient, et mis en service deux ans plus tôt. Ses conditions personnelles de vie à bord ne sont pas des plus malheureuses, puisque mangeant "aux frais du Roy" à la table du capitaine, le Sieur Jean Pallière Christy, et loge dans un réduit en toile dans la grande chambre, c'est à dire la salle à manger réservée à tout l'état major du navire.  

" Il y a quinze passagers, (8) la plupart sont logés dans la sainte-barbe (où l'on met les cartouches et une partie des instruments de l'artillerie) Le maître canonnier a l'inspection de ce poste, et y loge, ainsi que l'écrivain, l'aumônier et le chirurgien major. Au-dessus est la grande chambre, qui est l'appartement commun où l'on mange. Le second étage comprend la chambre du conseil, où communique celle du capitaine.

Elle est décorée, au dehors, d'une galerie; c'est la plus belle salle du vaisseau. Les chambres des officiers sont à l'entrée, afin qu'ils puissent veiller aux manœuvres

Au début, chez tous le moral est au beau, et permet des rencontres facilitant les échanges, mais très rapidement, les esprits s'aigrissent, on se voit, on se rencontre partout mais on ne se parle plus, la médisance commence, la désunion croît ; les tensions sont exacerbées par l'ennui, les matelots sont désœuvrés pendant de longs moments.

Les cuisiniers sont sous le gaillard d'avant, les provisions dans des compartiments au-dessous, les marchandises dans la cale, la soute aux poudres au-dessous de la sainte barbe .Voilà, en gros, l'ordre de notre vaisseau; mais il serait impossible de vous en peindre le désordre. On ne sait où passer, les accidents sont nombreux (9). Ce sont des caisses de vin, de champagne, des coffres, des tonneaux, des malles, des matelots qui jurent, des bestiaux qui mugissent, des oies et des volailles qui piaulent sur les dunettes (10) .Ce vacarme de basse-cour se tait vite : au fil des jours passés en mer, le troupeau diminue sous le couteau du boucher. Puis, la dernière bête sacrifiée-au bout d'à peine un mois de route- on commence à manger de la viande séchée, et ses premiers vers !, après tout le maître d'équipage ne cesse de répéter que c'est de la viande fraîche.

 

--------------- 

 

(1) On pouvait ramener du Bengale, de Surate, de Pondichéry, Ceylan, Maldives, Moluques, toutes sortes de produits : tissus en soies, du coton filé et du coton en laine, des épices (girofle, cannelle, muscade, poivre),

des colorants (indigo, gomme gutte), des cires (à cacheter, jaune, blanche), des produits pharmaceutiques (camphre, cachou, séné), des bois (rouge, santal, rotins), du salpêtre pour la poudre à canon, café, thé, du riz, de l'encens, des porcelaines, des diamants, des perles…

 

(2) de 1719 à 1731, le roi Louis XV a mis à disposition de la Compagnie des Indes un certain nombre de ses meilleurs officiers afin de lui faire profiter de leur grande expérience militaire et maritime.

 

(3) La recherche de données sur le commandant de la Vierge de Grâce s'est avérée extrêmement difficile, même en s'adressant au centre historique de Lorient et aux archives de la Marine à Vincennes. On va supposer qu'il s'agit du chevalier De Pardaillan (10/11/1709-24/04/1741). Donc, au final, un capitaine de marine, fils de bonne famille, âgé de quinze ans, prêté par le roi.

 

(4) Le Neptune arrivera à Bourbon le samedi 8 juillet et y déposera 70 soldats. 

 

(5)  La Sirène en 1725 fera la traversée en sept mois et Le Royal Philippe en 1728, la fera en cinq mois, 

Le Duc de Castries, (Henri Bernardin de Saint-Pierre) en 1768 mettra quatre mois et douze jours, après avoir parcouru 3 800 lieues marines (21 122 km) ou.4700 lieues communes (18 890 km).

 

  (6)  La route du retour effectue un crochet vers l'ouest, de façon à contourner les Açores, et à profiter des vents émis par les hautes pressions sur cet archipel durant l'été et le début de l'automne. Ainsi la Vierge de Grâce a mouillée à la Martinique entre le 9 avril et le 3 mai 1727, alors que d'autres bateaux peuvent rejoindre le Brésil, Grenade ou Louisbourg.

 

  (7) Le taux de mortalité atteint parfois jusqu'à 20% de l'ensemble de l'équipage et des passagers.

 

  (8) Sur la Vierge de Grâce ils ne sont que quatre passagers à la table. Le document d'archive étant difficile à déchiffrer, il est difficile d'approfondir leur identité.

 

            - ? Duchery, un commis de la Compagnie des Indes

            - Le RP Benigner Danex

            - Le RP Suzerain du Grand Bournand

            - Le P Bouler Sout et son épouse

          Et à l'office, la Dame surnommée Texier.  

          Elle transporte également un détachement de trente six soldats issus de la Compagnie Plantin destiné à renforcer la force militaire de l'ile Bourbon. (bureau des laisser passer de la marine au   Port- Louis du 18/02 1724).

Il se pourrait qu'il soit placé sous les ordres de Jean Denis Bouloc. 

 

    (9) Provoqués par le fort encombrement du navire et par des erreurs de manœuvre.

 

  (10) Les dunettes sont les parties surélevées et fermées au dessus du gaillard arrière.

 

 

 

 

 

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7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 10:57

Le soir, nos quatre soldats se retrouvent au Port-Louis enfermés dans la citadelle. Débutent alors, l'armée, la hiérarchie, la discipline, ordre et contre ordre, la vie de caserne, les longs moments de solitude, les corvées, les tours de garde. Pendant des jours et des jours ils vont tenter de découvrir auprès des vieux marins ce qu'est la vie à bord et la vie au loin, de l'autre côté de la mer, mais comment trier le vrai du faux !

C'est lors des longues soirées d'hiver que chacun se dévoile, et Jean-Baptiste n'est pas le dernier. Il raconte que non loin de Saint-Vit, son village, à une lieue et demie, se trouve une grotte que l'on a découvert durant le moyen âge "une grotte fort longue et large, en laquelle de long loisir, la nature a fait des colonnes, des heaulmes, des tombeaux, des animaux de diverses sortes, qui ravissent en admiration...". Dans ce féérique monde, loin sous la terre avec de nombreuses variétés de cristallisation et coloration, Besançon raconte que les enfants passent tout leur temps à chercher les squelettes de gigantesques ours. A la caserne, personne ne le croit, et, tous, à son plus grand désespoir se moquent de lui, à l'exception peut-être du bon Julien qui se plait à lui faire remarquer que le nom de Baret vient du mot ber qui signifie ours (1) . Malicieusement, Jean Baptiste se moque de lui.
Samedi 1er janvier 1724, Julien assiste au départ du Neptune, le premier vaisseau faisant partie de l'expédition pour les Indes. Il est placé sous les ordres du capitaine Etienne Perrier Aimé. Cent quarante huit hommes ont pris place à bord, il est armé de trente six canons. Julien se dit que son tour arrivera prochainement. Effectivement, neuf jours plus tard, alors que Jean Baptiste est embarqué sur le vaisseau amiral, il retrouve Commertié et Mathieu. Tous les trois sont fort satisfaits car ils sont affectés ensemble sur la frégate Vierge de Grâce.

Dans ces casernes, il fera la connaissance d'autres engagés comme lui, exerçant toute sorte de métiers et venant des quatre coins de France. Leur âge peut varier de quinze à trente ans. Il est de longue tradition dans la marine de donner aux soldats et hommes d'équipage de leur donner un nom de guerre, qualifiant leur physique, ou leur origine, dont à titre d'exemple :

 

- Nicolas Girardin,         dit Nancy,                                18 ans, tailleur,

- Nicolas Liegarle,        dit Dimanche,                         23 ans, venant de Verdun

- Pierre Nicolle,              dit Le Normand,                     20 ans

- François Robert,         dit Sans Rancune

- Jean de La Croix,        dit Paviers,                               18 ans, chandelier

- Léger Pierre-Joseph, dit Saint-Léger ou Flamand, car originaire de Lille

 

   Une mention particulière doit être faite pour le pseudonyme "Frappe d'Abord", que l'on rencontre à multiple reprises. Ainsi, Théodore Vinquier, engagé à Lorient en décembre 1723, embarque sur l'Hercule.  Sa description est la suivante :

 

"16 ans, natif de Meryo en Héneau, 5 pieds, visage rond, cheveux courts et châtains, les yeux gris a été reconnu pour fille se prénommant Madeleine, et débarqué à l'escale  de Lisbonne.  Elle épousa en Afrique à Mandée, Brousse, un jeune lieutenant du roi..."

 

La Vierge de Grâce est une frégate légère de 360 tonneaux à 3 mâts carrés (toutes les voiles sont carrées) avec une seule rangée de sabords percée pour 32 tirants(2), (ouvertures dans les flancs par où passent les canons), 2 ponts, et 2 gaillards. Elle est armée de 26 canons(3), avec un équipage de 90 hommes. Elle a été construite à L'Orient en 1713-1714 et achetée par la Compagnie des Indes en juillet 1719 au prix total de 90 000 livres payé comptant en billets de banque et de louis d'or au fort riche et puissant Messire René Darquistade de Nantes (4). Les trois compères sont accueillis à bord par Pierre Rouillard, un charretier, devenu caporal, originaire de Beaumont en Gatinois, d'où son surnom, Gatinois. Pour les recrues, c'est un vieux, il a au moins 37 ans, et en impose à tous, même les matelots se tiennent à distance avec tel que le décrit sa fiche d'incorporation : " un gros corps fort de 5 pieds 2 pouces 6 lignes". Viendront se joindre plus tard cinq autres soldats. Le détachement sera logé avec l'équipage dans l'entrepôt, prison ténébreuse où l'on ne voit goutte et sous les gaillards, c'est-à-dire sous l'ensemble des structures situées sur le pont supérieur à l'avant et aussi à l'arrière sur toute la largeur du navire, avec une absence totale d'air pur. Outre ces mauvaises conditions, trois soldats occupent le même hamac, alors que d'après le règlement, ils sont censés coucher que deux, le troisième étant supposé monter la garde. Prés de La Vierge de Grâce sont mouillés les trois autres vaisseaux qui partiront en même temps, ce qui entraine énormément de bruit. Notamment des bruits venant des charpentiers, des calfats, qui bouchent avec suie, étoupe et goudron les trous et fentes dans la coque, des marins installant la mature et le gréement, des hommes assurant l'avitaillement pour couvrir des besoins alimentaires sur douze à dix huit mois, le mouvement perpétuel des chaloupes, les ordres hurlés par porte-voix (évite à tribord, largue l'amarre, plus vite, dépêchons, etc.) et l'agencement de la cargaison et de l'artillerie. Le seul moment où l'on peut respirer, c'est quand on monte la garde sur le quai, tout prés du navire ou lors de rares moments de repos, mais en se faisant tout petit, sur le pont. Dans l'air flottent de doux arômes de bois et des odeurs de toutes sortes provenant des voiles en fil de lin tissé extrêmement serré, ainsi que les lourds cordages en chanvre travaillés dans la grande corderie du port proche. Ils sont longuement enduits d'un épais goudron brulant A la fin janvier, le détachement est au grand complet, et les longues rondes à deux permettent de faire plus ample connaissance avec les derniers soldats embarqués.sur la Vierge de Grâce :

 

          - Antoine Balin, dit Balinois, qui souhaite se faire débarquer à Pondichéry en Inde.
          - Nicolas Prévost, dit Grange, le copain inséparable de Joseph (ou Jojo) Magnan
          - Jean-François Grandjean, dit Lorrain, il vient évidemment de Lorraine (de Metz).

          - Joseph Magnan, dit Magnan, il habite à Pontivy, à une douzaine de lieues seulement

          - René Bernardin Kgoff, dit Valtaupe, un clerc au visage marqué par la petite vérole.

 

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  (1)  Il s'agit de la grotte d'Osselle à 25 kilomètres de Besançon (Doubs).Il y avait 2 à 3000 squelettes.C'était la plus importante nécropole mondiale d'ours des cavernes. Les animaux mesureraient 1,30 m au garrot, et 3,50 m en position dressée, avec un poids pouvant aller jusqu'à 450 kg. Les ossements sont disséminés dans de nombreux musés du monde, et beaucoup ont été volés.

 (2) Ouvertures dans les flancs par où passent les canons. 

 (3)  La Vierge de Grâce est donc bien armée, puisque on compte en moyenne une pièce de canon pour 21 tonneaux

  (4)  Messire René Darquistade, Seigneur de la Maillardière est non seulement armateur, mais aussi négociant et homme politique. Il deviendra maire de Nantes 16 ans plus tard. Il est également bien connu pour avoir introduit en France, en 1711, en provenance de Louisiane, un bel arbre aux fleurs magnifiques en forme de coupe, le premier magnolia.

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3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 04:15

Mardi, le trentième de novembre, comme prévu Julien se présente à la garnison, située prés du port de l'Orient. Là, il y a deux compagnies, une de fusiliers de 230 hommes et une autre d'une trentaine de grenadiers. C'est l'armée de sa majesté. Comme depuis 1715, le royaume de France vit une période de paix, l'armée est bien tranquille. Ce que cherche Julien c'est la nouvelle armée mise sur pieds en octobre 1721 par le roi Louis XV qui permet la levée d'une compagnie d'infanterie au service de la Compagnie des Indes. Il souhaite participer à la conquête des colonies. Il pense, c'est certain à cette île Dauphine, appelée par ses habitants Madécasse ou encore Madagascar. Une île à ce qu'il parait, presque aussi grande que tout le royaume de France, peuplée d'hommes et d'animaux étranges. Il est plus attiré encore par cette île Bourbon non loin d'elle. Elle est trois fois plus petite, que la province d'Anjou, avec des montagnes si hautes qu'il n'est pas possible de faire l'aller et retour dans la journée. Une île verte et giboyeuse qui ne connait ni neige ni hiver, une île où le soleil fait murir à longueur d'année des fruits qui chargent les arbres à pleine branche. Il est donc conduit vers la jeune compagnie Plantin, où se trouvent trois autres candidats à l'incorporation comme lui, Jean Commertié, un boulanger de tout juste 19 ans, et Mathieu Bourdin, 25 ans, dit Desnoyers, peigneur de laine. Tous les deux viennent de la région de Poitiers. S'ils sont peu bavards, le troisième, lui, vient de Franche-Comté et c'est un véritable moulin à paroles. Il s'agit de Jean Baptiste, un beau jeune homme de 16 ans qui doit mesurer dans les 5 pieds 2 pouces aux cheveux châtain clair, de magnifiques yeux bleus, le visage équivoque. Il ne sait pas signer, et ignore l'orthographe de son nom : Contant, Content, ou Comptant... On verra ce que la postérité retiendra, pour l'heure il se fait appeler Besançon, comme la ville du Doubs.
Au bout d'un long moment, qui leur semble être des heures, peut être même, une éternité,ils sont reçus sèchement par un solide gaillard de 5 pieds 2 pouces au visage rond, troué de petite vérole, les cheveux noirs, une vilaine cicatrice lui barrant la joue droite. Est-il caporal ou sergent ! Personne ne sait. Bien éméché, l'haleine puissante, dans un langage fort confus, il leur explique que la Compagnie Plantin est placée sous les ordres d'un ancien capitaine d'infanterie, assisté de quatre officiers et de quatre sergents. Forte d'une centaine d'hommes Sa mission est double, tout d'abord : garder le port, suppléer à l'éloignement de la troupe, notamment en cas d'incendies et par la suite fournir des détachements plus ou moins gros embarqués sur les nombreux vaisseaux de la Compagnie des Indes en partance.

Ceux-ci ont pour mission de :

     Favoriser la discipline, protéger l'équipage dans les escales dangereuses et surveiller
     les marchandises. Les soldats sont en général au nombre d'une dizaine selon la taille
     des bâtiments. Ils sont placés sous les ordres d'un zélé sergent secondé d'un caporal.

L'engagement est effectué pour une durée de six ans. En échange, la Compagnie des Indes s'engage à assurer le logement, l'habillement, la nourriture ainsi que les soins destinés à maintenir l'engagé en bonne santé. Le soldat perçoit une prime d'engagement de vingt cinq livres, et un ensemble d'effets et d'objets d'équipement du parfait soldat, c'est le paquetage.

 

Ces quatre recrues sont les bienvenues, puisque la Compagnie met sur pieds une expédition de cinq vaisseaux en direction des Indes qui devrait partir au début de l'année prochaine.
Elle est placée sous le commandement général de Renault des Boisclairs, capitaine du navire amiral, le Duc de Chartres, et va former une flotte de plus de trois milles tonneaux (1), prés de cent soixante dix canons et environ sept cent cinquante jeunes hommes prêts à en découdre. 

 

A midi, c'est signé. Juju, devient pour six ans le soldat Julien Baret, dit Baret. Il endosse son uniforme composé d'un justaucorps de drap bleu, avec parements rouges et gros boutons de fonte, d'un tricot croisé bleu, avec petits boutons de fonte, d'une culotte blanche, des guêtres blanches, et un fort joli chapeau bordé de poils de chèvre. Dans le paquetage se trouvent aussi deux paires de souliers, deux paires de bas de fil, une paire en laine, et trois chemises. Sans oublier le fusil, type grenadier 1716, avec un magnifique fut en noyer, une baïonnette à lame triangulaire, un ceinturon et gargoussier contenant des gargousses, c'est à dire des cartouches.

 

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(1)  C'est le poids transportable, souvent égal au poids du navire, un tonneau = 2,83 m3

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15 mars 2013 5 15 /03 /mars /2013 04:43

La Vierge de Grâce est une frégate légère de 360 tonneaux à 3 mâts carrés (toutes les voiles sont carrées) avec une seule rangée de sabords percée pour 32 tirants(1), (ouvertures dans les flancs par où passent les canons), 2 ponts, et 2 gaillards. Elle est armée de 26 canons(2), avec un équipage de 90 hommes. Elle a été construite à L'Orient en 1713-1714 et achetée par la Compagnie des Indes en juillet 1719 au prix total de 90 000 livres payé comptant en billets de banque et de louis d'or au fort riche et puissant Messire René Darquistade de Nantes (3).
Les trois compères sont accueillis à bord par Pierre Rouillard, un charretier, devenu caporal, originaire de Beaumont en Gatinois, d'où son surnom, Gatinois. Pour les recrues, c'est un vieux, il a au moins 37 ans, et en impose à tous, même les matelots se tiennent à distance avec tel que le décrit sa fiche d'incorporation :

" un gros corps fort de 5 pieds 2 pouces 6 lignes".

Viendront se joindre plus tard cinq autres soldats. Le détachement sera logé avec l'équipage dans l'entrepôt, prison ténébreuse où l'on ne voit goutte et sous les gaillards, c'est-à-dire sous l'ensemble des structures situées sur le pont supérieur à l'avant et aussi à l'arrière sur toute la largeur du navire, avec une absence totale d'air pur. Outre ces mauvaises conditions, trois soldats occupent le même hamac, alors que d'après le règlement, ils sont censés coucher que deux, le troisième étant supposé monter la garde. Prés de La Vierge de Grâce sont mouillés les trois autres vaisseaux qui partiront en même temps, ce qui entraine énormément de bruit.
Notamment des bruits venant des charpentiers, des calfats, qui bouchent avec suie, étoupe et goudron les trous et fentes dans la coque, des marins installant la mature et le gréement, des hommes assurant l'avitaillement pour couvrir des besoins alimentaires sur douze à dix huit mois, le mouvement perpétuel des chaloupes, les ordres hurlés par porte-voix (évite à tribord, largue l'amarre, plus vite, dépêchons, etc.) et l'agencement de la cargaison et de l'artillerie.
Le seul moment où l'on peut respirer, c'est quand on monte la garde sur le quai, tout prés du navire ou lors de rares moments de repos, mais en se faisant tout petit, sur le pont. Dans l'air flottent de doux arômes de bois et des odeurs de toutes sortes provenant des voiles en fil de lin tissé extrêmement serré, ainsi que les lourds cordages en chanvre travaillés dans la grande corderie du port proche. Ils sont longuement enduits d'un épais goudron brulant.
A la fin janvier, le détachement est au grand complet, et les longues rondes à deux permettent de faire plus ample connaissance avec les derniers soldats embarqués.sur la Vierge de Grâce :

          - Antoine Balin, dit Balinois, qui souhaite se faire débarquer à Pondichéry en Inde.
          - Nicolas Prévost, dit Grange, le copain inséparable de Joseph (ou Jojo) Magnan
          - Jean-François Grandjean, dit Lorrain, il vient évidemment de Lorraine (de Metz).

          - Joseph Magnan, dit Magnan, il habite à Pontivy, à une douzaine de lieues seulement

          - René Bernardin Kgoff, dit Valtaupe, un clerc au visage marqué par la petite vérole.

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  (1)  Ouvertures dans les flancs par où passent les canons.

  (2)  La Vierge de Grâce est donc bien armée, puisque on compte en moyenne une pièce de canon pour 21 tonneaux

  (3)  Messire René Darquistade, Seigneur de la Maillardière est non seulement armateur, mais aussi négociant et homme politique. Il deviendra maire de Nantes 16 ans plus tard.
      Il est également bien connu pour avoir introduit en France, en 1711, en provenance de Louisiane, un bel arbre aux fleurs magnifiques en forme de coupe, le premier magnolia.

 

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4 mars 2013 1 04 /03 /mars /2013 17:17

La vie à bord n'est pas des plus agréables, conditions d'hygiène pitoyables, mauvaise qualité de l'air, eau croupie dans les soutes. Une nourriture écœurante, en quantité restreinte, avec absence de viande, de fruits et légumes frais entrainant une carence en vitamine C, ce qui provoque le scorbut. La boisson consiste en une pinte de vin. D'abord, parce qu'il se conserve mal, du blanc de Nantes, du bon gros rouge languedocien, et pour finir du bordeaux. Sachant que du vin de notre commune de par l'acidité des sols riches en oxyde de fer permettant de supporter de fort longs périples sur routes et par mer se retrouvait dés le XVII° siècle sur les tables de Russie, d'Angleterre et des Pays Bas, qu'il nous soit permis de penser que Julien a dégusté du vin de Saint-Georges d'Orques. L'eau, est limitée elle aussi à une pinte. Elle est conservée dans des futs, appelés "charniers" de quatre cents litres, solidement amarrés sur le pont et placés sous la surveillance, sans faille, d'une sentinelle. Cette eau prend rapidement le gout et la couleur du tanin avec une odeur nauséabonde et devient affreuse, aussi difficile à avaler que la plus forte des médecines. Malgré cela, l'équipage et les soldats consomment avec délice le quart de litre quotidien, le seul rafraichissement mis à sa disposition. Le nom de charnier adopté s'explique donc. On utilise pourtant du bois de charme, considéré comme incorruptible, et les moyens utilisés pour tenter de purifier l'eau sont nombreux, comme par exemple la transvaser d'un fut à un autre pour l'aérer, ou y plonger dedans un fer rougi, ou encore l'exposer sur le pont, afin de lui faire profiter du serein de la nuit. Hélas, rien n'y fait. Quand il faut descendre dans les cales, il est nécessaire d'allumer une chandelle, qui permet de détecter aisément la présence de gaz carbonique, souvent responsable d'accidents mortels.

 

Au bout de cinq mois de navigation, excepté les officiers, beaucoup ont perdu la notion du temps, on est à mi-juillet. Depuis le lever du soleil tout le monde est sur la passerelle à scruter au loin. C'est l'hiver ; la température cette nuit est descendue à 17°, heureusement que dans la journée, elle remontera jusqu'à 25°. Pour les marins de corvée de lavage du pont constatent en puisant de l'eau de l'océan qu'elle est chaude. Elle doit certainement atteindre les 22 à 24°.

 

Des oiseaux de terre accompagnent maintenant la Vierge de Grâce. Nous sommes par 19°58' de latitude sud et de 57°18' de longitude est (méridien de Paris). L'île de France doit être proche. Des paris s'organisent pour déterminer qui découvrira le premier cette île française depuis seulement neuf ans. En effet, les Portugais qui l'appelaient, île Maurice, la possédait depuis 1598, l'ont abandonnée vers 1708 pour aller s'établir au Cap de Bonne Espérance. Elle était devenue totalement inhabitée jusqu'à la prise de possession le 20 septembre 1715 au nom du roi Louis XV par le sieur Guillaume Dufresne, le capitaine du Chasseur, qui planta sur les rives désertes le drapeau fleur de lysé. Bientôt s'offre aux regards une île pratiquement ronde et petite, pas plus de dix sept lieues de long sur quatorze de large, soit 1865 km2

 

Le tour de l'île ne dépasse pas les quatre vingt lieues On devine un relief peu accidenté et des altitudes ne dépassant pas 600 m avec un grand plateau central d'une hauteur de 400 à 600 m. Le point culminant est situé à 828 m et porte le nom de Piton de la Rivière Noire.Enfin ! Lundi 17 juillet, la Vierge de Grâce jette l'ancre. Une immense barrière de corail ceint l'île, et protège de superbes lagons et plages bordées de cocotiers et de filaos. Il faut attendre l'arrivée du Duc de Chartres, et prendre les instructions du commandant général de la flotte, le capitaine Renault des Bois-Clairs. Comme le Duc de Chartres est fort lourd avec ses 900 tonneaux, 42 canons et 205 hommes d'équipage, il est beaucoup moins rapide que la Vierge de Grâce. Il faudra l'attendre pendant un long mois. L'Hercule, après avoir séjourné face au Portugal entre le 24 mars et le 29 avril, est signalé le 3 novembre au Brésil dans l'immense Baia de Todos os Santos, autrement dit, la Baie de Tous les Saints, car découverte un premier novembre. Il arrivera le mercredi 27 décembre.

Ordre est donné à la Vierge de Grâce de prendre à son bord des passagers de marque, ayant voyagé sur le Duc de Chartres. Il s'agit du sieur Elie Dioré (1), chevalier de l'ordre militaire de Saint-Louis, capitaine de cavalerie, de sa tendre épouse Henriette, et de son beau-frère, Jacques Juppin de la Fondaumière, enseigne en pieds, qui lui sert de secrétaire particulier. Ils ont reçu comme instruction du gouverneur de rejoindre très rapidement l'Isle Bourbon.

 

Bourbon, "l'île la plus plaisante et la plus saine de toutes les Indes ", est une petite île de 2512 km située par 20°51'43'' de latitude sud et par 53°10' de longitude est du méridien de Paris. Sa plus grande longueur est de seize lieues, sa plus grande largeur d'une dizaine de lieues, sa circonférence, en suivant la route de ceinture est de plus de cinquante lieues. Alors que l'Îsle de France se perd dans l'espace océanique, Bourbon grâce à ses hauts sommets : les Salazes (2132 m), le Cimendef (2228 m), le Grand Bénare (2898m), et le Piton des Neiges, culminant à 3070 m, en plein océan, la vigie, avec sa longue vue l'aperçoit alors facilement et de loin. 

Il est plus facile d'atteindre Bourbon par le Sud, mais grande question, va t'on jeter l'ancre, dans la baie de Saint-Paul, à la Grande Chaloupe, ou, dans la baie de Saint Denis ! Grâce à une mer calme et des vents favorables, la frégate arrivera à Saint-Paul en seulement deux jours de navigation, le 12 septembre. Il est fort bien connu qu'en sens inverse, les vents qui soufflent rendent le trajet long et pénible. Le voyage peut durer de deux à quatre semaines, en tirant des bords, selon l'importance de la voilure des navires et la lourdeur de leur coque.

 

Chacun s'attend à bénéficier d'une longue période de repos et de partager l'enthousiasme  exprimé trente trois ans plus tôt par François Leguat et ses compagnons en avril 1691 (2) :

 

"…De l'endroit où nous arrêtâmes pour jeter les yeux quelques moments sur cet admirable pays, nous en découvrîmes les diverses beautés ... Et nous pouvions discerner l'agréable mélange de bois, de ruisseaux et de plaines émaillées d'une ravissante verdure. Si notre vue était parfaitement satisfaite, notre odorat ne l'était pas moins, car l'air était parfumé d'une odeur charmante qui venait de l'île et qui s'exhalait en partie des citronniers et des orangers qui y sont en grande abondance ".

 

Le temps de repos sera bref, et dés le 23 septembre, le gouverneur Desforges Boucher donne l'ordre au Chevalier de Pardaillan d'aller immédiatement à l'île Sainte-Marie, au nord est de Madagascar et lui confie une double mission :

 

-Porter une promesse d'amnistie aux deux pirates la Buse, et William Bohony .

 

-Ramener une grande quantité de noirs afin de faire face à un manque cruel de main d'œuvre dans les concessions agricoles de Saint-Denis et de Sainte-Suzanne. La Vierge de Grâce sera de retour, mission accomplie, deux mois et demi plus tard, toutes les cales pleines à ras bord.

 

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   (1) Il remplacera en décembre 1725, suite à son décès, le gouverneur Antoine Desforges Boucher, mais il ne laissera pas un excellent souvenir, car son nom est associé à la chute des cours du café.     

 

   (2) Voyage et aventures de François Leguat et de ses compagnons en deux îles désertes des Indes  Orientales (1690-1698). S'agit-il d'un roman ou d'une histoire vraie ? Le débat est toujours ouvert.

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3 mars 2013 7 03 /03 /mars /2013 01:00

Au tout début de l'année 1723, la Compagnie des Indes envisage de mettre sur pieds pour l'année suivante une importante expédition à destination des Indes Orientales en vue de ramener toutes sortes de richesses exotiques (1). Elle est placée sous le haut commandement général du Sieur Renault des Boisclairs, un officier de marine prêté par le roi à la Compagnie pour former à la navigation ses officiers et ses équipages. C'est une flotte de cinq vaisseaux totalisant 3260 tonneaux, sur lesquels ont pris place 759 soldats et hommes d'équipage. Elle est composée de deux navires de 600 tonneaux, le Neptune et l'Apollon, de l'Hercule, 750 tonneaux et du Duc de Chartres, le navire amiral. Celui-ci est commandé par des Boisclairs.

 

La frégate la Vierge de Grâce, armée par Monsieur de la Franquerie le Brun, et placée sous le commandement d'un jeune officier de marine de guerre (2), l'enseigne de vaisseau Pardaillan de Gondrin Antoine François (3). Elle aura le rôle très important de servir de bateau de liaison et d'assistance, mais aussi d'apercevoir de loin tout bateau et s'assurer de son identité.

Le Neptune, placé sous le commandement de Etienne Perrier Aimé, est le premier à prendre le départ, le samedi premier janvier 1724(4)  Les quatre autres, n'ayant pas finis les opérations de chargement sont restés à quai jusqu'à la fin du mois. Puis, une fois prêts, ils se sont mis bien à l'abri de chaque coté de l'estuaire en attendant un vent favorable, "Le vent de l'Inde" Ils l'attendront durant sept semaines avant de pouvoir partir, et ensemble le jeudi 24 février.

Ordre est donné aux commandants de se rassembler à Port Bourbon en Ile de France. Soit dans un délai de quatre à cinq mois selon la taille des navires et les péripéties enregistrées. On ignore quelle sera la distance parcourue et la durée du voyage ; tout dépend des courants, des vents, des aléas, du hasard, de la qualité de l'équipage et de l'expérience du capitaine. (5)

Au départ de L'Orient

Après Groix, la Vierge de Grâce poursuit sa route, contourne le redoutable Golfe de Gascogne en longeant les côtes de France, puis celles d'Espagne, du Portugal, passe au large de l'île de Madère, de l'archipel des Açores, et l'archipel des Canaries au bout d'une quinzaine de jours.
Enfin; le vaisseau entre dans la zone des vents permanents du nord-est et reconnaît les îles du Cap vert deux semaines plus tard. Et là ce ne sont que vents contraires, calmes suivis de grains, longs jours de navigation erratique sous un soleil de plomb. Il faut pour le capitaine beaucoup d'habileté et d'expérience. Bien malin celui qui sait exactement où il est : ce n'est qu'en passant le Cap de Bonne Espérance qu'on se repère vraiment. Encore faut il le passer.Certains doivent s'y reprendre à deux ou trois fois, s'ils n'ont pas su se glisser dans les grands vents qui soufflent vers l'est: trop au nord et on a la brise dans le nez : trop au sud et ce sont les tempêtes géantes des quarantièmes rugissants avec des vagues de 16 à 18 mètres de haut. Franchi le cap, le bateau pour l'Extrême-Orient glisse tout penché sur la grosse mer, le long du trentième parallèle. Il ne remontera qu'arrivé en plein cœur de l'Océan Indien, avec un vent de coté, coupant ainsi les alizés du sud est, nettement plus favorables à la navigation (6).  

 Le voyage de la Vierge de Grâce

Le voyage par mer comporte toujours de multiples "fortunes de mer", accidents, naufrages, des actes de mutinerie ou de piraterie, surcharges, incendies, l'éclair, maladies diverses (7)…Nous n'avons pas le journal de bord du voyage, et pour la période qui nous intéresse, il y a peu de récits de traversés, ou de journaux de voyages des navires. Il faut attendre prés d'un demi-siècle, et par conséquent une bien plus grande expérience maritime et certainement des améliorations notoires pour disposer d'un récit fiable sur les conditions de traversées. Le témoin n'est autre que Henry Bernardin de Saint-Pierre, l'auteur de "Paul et Virginie". Dans un ouvrage paru en 1773 sous le titre de "Voyage à l'Ile de France" Bernardin de Saint-Pierre note avec précisions un grand nombre d'observations sur l'embarquement des navires, les difficultés de la traversée, le comportement des hommes, tous les événements quotidiens, l'alimentation, les maladies, l'état de la mer, les animaux rencontrés…etc. Cet écrivain sera notre témoin privilégié.

Nous lui laisserons la plume, toutes les fois qu'il sera nécessaire. On ne peut en effet que s'effacer devant un membre de l'académie française.

Il embarque le 3 mars 1768, en qualité de Capitaine d'infanterie, ingénieur des colonies, sur un navire de 700 à 800 tonneaux, armé de 20 canons, avec un gros équipage de 146 hommes, chargé de matures pour le Bengale. C'est "Le Marquis de Castries", un navire récent de la Compagnie des Indes, construit à Lorient, et mis en service deux ans plus tôt. Ses conditions personnelles de vie à bord ne sont pas des plus malheureuses, puisque mangeant "aux frais du Roy" à la table du capitaine, le Sieur Jean Pallière Christy, et loge dans un réduit en toile dans la grande chambre, c'est à dire la salle à manger réservée à tout l'état major du navire." Il y a quinze passagers, (8) la plupart sont logés dans la sainte-barbe (où l'on met les cartouches et une partie des instruments de l'artillerie). Le maître canonnier a l'inspection de ce poste, et y loge, ainsi que l'écrivain, l'aumônier et le chirurgien major. Au-dessus est la grande chambre, qui est l'appartement commun où l'on mange. Le second étage comprend la chambre du conseil, où communique celle du capitaine. Elle est décorée, au dehors, d'une galerie; c'est la plus belle salle du vaisseau. Les chambres des officiers sont à l'entrée, afin qu'ils puissent veiller aux manœuvres.

Au début, chez tous le moral est au beau, et permet des rencontres facilitant les échanges, mais très rapidement, les esprits s'aigrissent, on se voit, on se rencontre partout mais on ne se parle plus, la médisance commence, la désunion croît ; les tensions sont exacerbées par l'ennui, les matelots sont désœuvrés pendant de longs moments.

Les cuisiniers sont sous le gaillard d'avant, les provisions dans des compartiments au-dessous, les marchandises dans la cale, la soute aux poudres au-dessous de la sainte barbe

Voilà, en gros, l'ordre de notre vaisseau; mais il serait impossible de vous en peindre le désordre. On ne sait où passer, les accidents sont nombreux (9). Ce sont des caisses de vin, de champagne, des coffres, des tonneaux, des malles, des matelots qui jurent, des bestiaux qui mugissent, des oies et des volailles qui piaulent sur les dunettes (10)

Ce vacarme de basse-cour se tait vite : au fil des jours passés en mer, le troupeau diminue sous le couteau du boucher. Puis, la dernière bête sacrifiée-au bout d'à peine un mois de route- on commence à manger de la viande séchée, et ses premiers vers !, après tout le maître d'équipage ne cesse de répéter que c'est de la viande fraîche.  

La vie à bord n'est pas des plus agréables, conditions d'hygiène pitoyables, mauvaise qualité de l'air, eau croupie dans les soutes. Une nourriture écœurante, en quantité restreinte, avec absence de viande, de fruits et légumes frais entrainant une carence en vitamine C, ce qui provoque le scorbut. La boisson consiste en une pinte de vin. D'abord, parce qu'il se conserve mal, du blanc de Nantes, du bon gros rouge languedocien, et pour finir du bordeaux. Sachant que du vin de notre commune de par l'acidité des sols riches en oxyde de fer permettant de supporter de fort longs périples sur routes et par mer se retrouvait dés le XVII° siècle sur les tables de Russie, d'Angleterre et des Pays Bas, qu'il nous soit permis de penser que Julien a dégusté du vin de Saint-Georges d'Orques. L'eau, est limitée elle aussi à une pinte. Elle est conservée dans des futs, appelés "charniers" de quatre cents litres, solidement amarrés sur le pont et placés sous la surveillance, sans faille, d'une sentinelle. Cette eau prend rapidement le gout et la couleur du tanin avec une odeur nauséabonde et devient affreuse, aussi difficile à avaler que la plus forte des médecines. Malgré cela, l'équipage et les soldats consomment avec délice le quart de litre quotidien, le seul rafraichissement mis à sa disposition. Le nom de charnier adopté s'explique donc. On utilise pourtant du bois de charme, considéré comme incorruptible, et les moyens utilisés pour tenter de purifier l'eau sont nombreux, comme par exemple la transvaser d'un fut à un autre pour l'aérer, ou y plonger dedans un fer rougi, ou encore l'exposer sur le pont, afin de lui faire profiter du serein de la nuit. Hélas, rien n'y fait. Quand il faut descendre dans les cales, il est nécessaire d'allumer une chandelle, qui permet de détecter aisément la présence de gaz carbonique, souvent responsable d'accidents mortels .

- - - - - - - - - -  

(1) On pouvait ramener du Bengale, de Surate, de Pondichéry, Ceylan, Maldives, Moluques, toutes sortes de produits : tissus en soies, du coton filé et du coton en laine, des épices (girofle, cannelle, muscade, poivre), des colorants (indigo, gomme gutte), des cires (à cacheter, jaune, blanche), des produits pharmaceutiques (camphre, cachou, séné), des bois (rouge, santal, rotins), du salpêtre pour confectionner la poudre à canon, café, thé, du riz, de l'encens, des porcelaines, des diamants, des perles…

 

(2) de 1719 à 1731, le roi Louis XV a mis à disposition de la Compagnie des Indes un certain nombre de ses meilleurs officiers afin de lui faire profiter de leur grande expérience militaire et maritime.

 

(3) La recherche de données sur le commandant de la Vierge de Grâce s'est avérée extrêmement  difficile, même même en s'adressant au centre  historique de Lorient et aux archives de la Marine à Vincennes. On va supposer qu'il s'agit du chevalier De Pardaillan (10/11/1709- 24/04/1741). Donc, au final, un capitaine de marine, fils de bonne famille, âgé de quinze ans, prêté par le roi

 

(4)  Le Neptune arrivera à Bourbon le samedi 8 juillet et y déposera 70 soldats. 

 

(5)  La Sirène en 1725 fera la traversée en sept mois et Le Royal Philippe en 1728, la fera en cinq mois, Le Duc de Castries, (Henri Bernardin de Saint-Pierre) en 1768 mettra quatre mois et douze  jours, après avoir parcouru prés de 3 800 lieues marines (21 122 km) ou.4700 lieues communes (18 890 km).

 

(6)   La route du retour effectue un crochet vers l'ouest, de façon à contourner les Açores, et à profiter des vents émis par les hautes  pressions sur cet archipel durant l'été et le début de l'automne. Ainsi la Vierge de Grâce a mouillée à la Martinique entre le 9 avril et le 3 mai 1727, alors que d'autres bateaux peuvent rejoindre le Brésil, Grenade ou Louisbourg.

 

 (7)   Le taux de mortalité atteint parfois jusqu'à 20% de l'ensemble de l'équipage et des passagers.

 

 (8)  Sur la Vierge de Grâce ils ne sont que quatre passagers à la table. Le document d'archive étant difficile à 

déchiffrer, il est difficile d'approfondir leur identité.

 

                           - ? Duchery, un commis de la Compagnie des Indes

                           - Le RP Benigner Danex

                           - Le RP Suzerain du Grand Bournand

                           - Le P Bouler Sout et son épouse

                           Et à l'office, la Dame surnommée Texier.

 

       Elle transporte également un détachement de trente six soldats issus de la Compagnie Plantin destiné à renforcer la force militaire de l'ile Bourbon. (bureau des laisser passer de la marine au Port - Louis  du 18/02 1724).

 Il se pourrait que le détachement soit placé sous les ordres de Jean Denis Bouloc.

 

  (9)  Provoqués par le fort encombrement du navire et par des erreurs de manœuvre.

 

(10) Les dunettes sont les parties surélevées et fermées au dessus du gaillard arrière.

 

 

 

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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 11:05

Mardi, le trentième de novembre 1723, Julien baret se présente à la garnison. Il y a là deux compagnies, une de fusiliers de 230 hommes, et une autre, d'une trentaine de grenadiers.la-Citadelle.jpg

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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 06:17

 

Mardi, le trentième de novembre, comme prévu Julien se présente à la garnison, située prés du port de l'Orient. Là, il y a deux compagnies, une de fusiliers de 230 hommes et une autre d'une trentaine de grenadiers. C'est l'armée de sa majesté. Comme depuis 1715, le royaume de France vit une période de paix, l'armée est bien tranquille. Ce que cherche Julien c'est la nouvelle armée mise sur pieds en octobre 1721 par le roi Louis XV qui permet la levée d'une compagnie d'infanterie au service de la Compagnie des Indes. Il souhaite participer à la conquête des colonies. Il pense, c'est certain à cette île Dauphine, appelée par ses habitants Madécasse ou encore Madagascar. Une île à ce qu'il parait, presque aussi grande que tout le royaume de France, peuplée d'hommes et d'animaux étranges. Il est plus attiré encore par cette île Bourbon non loin d'elle. Elle est trois fois plus petite, que la province d'Anjou, avec des montagnes si hautes qu'il n'est pas possible de faire l'aller et retour dans la journée. Une île verte et giboyeuse qui ne connait ni neige ni hiver, une île où le soleil fait murir à longueur d'année des fruits qui chargent les arbres à pleine branche. Il est donc conduit vers la jeune compagnie Plantin, où se trouvent trois autres candidats à l'incorporation comme lui, Jean Commertié, un boulanger de tout juste 19 ans, et Mathieu Bourdin, 25 ans, dit Desnoyers, peigneur de laine. Tous les deux viennent de la région de Poitiers. S'ils sont peu bavards, le troisième, lui, vient de Franche-Comté et c'est un véritable moulin à paroles. Il s'agit de Jean Baptiste, un beau jeune homme de 16 ans qui doit mesurer dans les 5 pieds 2 pouces aux cheveux châtain clair, de magnifiques yeux bleus, le visage équivoque. Il ne sait pas signer, et ignore l'orthographe de son nom : Contant, Content, ou Comptant... On verra ce que la postérité retiendra , pour l'heure il se fait appeler Besançon, comme la ville du Doubs.


Au bout d'un long moment, qui leur semble être des heures, peut être même, une éternité, ils sont reçus sèchement par un solide gaillard de 5 pieds 2 pouces au visage rond, troué de petite vérole, les cheveux noirs, une vilaine cicatrice lui barrant la joue droite. Est-il caporal ou sergent ! Personne ne sait. Bien éméché, l'haleine puissante, dans un langage fort confus, il leur explique que la Compagnie Plantin est placée sous les ordres d'un ancien capitaine d'infanterie, assisté de quatre officiers et de quatre sergents. Forte d'une centaine d'hommes. Sa mission est double, tout d'abord : garder le port, suppléer à l'éloignement de la troupe, notamment en cas d'incendies et par la suite fournir des détachements plus ou moins gros embarqués sur les nombreux vaisseaux de la Compagnie des Indes en partance.

 

Ceux-ci ont pour mission de :

 

 Favoriser la discipline, protéger l'équipage dans les escales dangereuses et surveiller les marchandises. Les soldats sont en général au nombre d'une dizaine selon la taille des bâtiments. Ils sont placés  sous les ordres d'un zélé sergent secondé d'un caporal.

L'engagement est effectué pour une durée de six ans. En échange, la Compagnie des Indes s'engage à assurer le logement, l'habillement, la nourriture ainsi que les soins destinés à maintenir l'engagé en bonne santé. Le soldat perçoit une prime d'engagement de vingt cinq livres, et un ensemble d'effets et d'objets d'équipement du parfait soldat, c'est le paquetage.

Ces quatre recrues sont les bienvenues, puisque la Compagnie met sur pieds une expédition de cinq vaisseaux en direction des Indes qui devrait partir au début de l'année prochaine.
Elle est placée sous le commandement général de Renault des Boisclairs, capitaine du navire amiral, le Duc de Chartres, et va former une flotte de plus de trois milles tonneaux (1), prés de cent soixante dix canons et environ sept cent cinquante jeunes hommes prêts à en découdre.

  

A midi, c'est signé. Juju, devient pour six ans le soldat Julien Baret, dit Baret. Il endosse son uniforme composé d'un justaucorps de drap bleu, avec parements rouges et gros boutons de fonte, d'un tricot croisé bleu, avec petits boutons de fonte, d'une culotte blanche, des guêtres blanches, et un fort joli chapeau bordé de poils de chèvre. Dans le paquetage se trouvent aussi deux paires de souliers, deux paires de bas de fil, une paire en laine, et trois chemises. Sans oublier le fusil, type grenadier 1716, avec un magnifique fut en noyer, une baïonnette à lame triangulaire, un ceinturon et gargoussier contenant des gargousses, c'est à dire des cartouches. 

 

 

 acte d'engagement JulienBaret

 Le soir, nos quatre soldats se retrouvent au Port-Louis enfermés dans la citadelle. Débutent alors, l'armée, la hiérarchie, la discipline, ordre et contre ordre, la vie de caserne, les longs moments de solitude, les corvées, les tours de garde. Pendant des jours et des jours ils vont tenter de découvrir auprès des vieux marins ce qu'est la vie à bord et la vie au loin, de l'autre côté de la mer, mais comment trier le vrai du faux ! C'est lors des longues soirées d'hiver que chacun se dévoile, et Jean-Baptiste n'est pas le dernier. Il raconte que non loin de Saint-Vit, son village, à une lieue et demie, se trouve une grotte que l'on a découvert durant le moyen âge "une grotte fort longue et large, en laquelle de long loisir, la nature a fait des colonnes, des heaulmes, des tombeaux, des animaux de diverses sortes, qui ravissent en admiration...". Dans ce féérique monde, loin sous la terre avec de nombreuses variétés de cristallisation et coloration, Besançon raconte que les enfants passent tout leur temps à chercher les squelettes de gigantesques ours. A la caserne, personne ne le croit, et, tous, à son plus grand désespoir se moquent de lui, à l'exception peut-être du bon Julien qui se plait à lui faire remarquer que le nom de Baret vient du mot ber qui signifie ours (2) . Mais, Jean Baptiste se moque de lui.
Samedi 1er janvier 1724, Julien assiste au départ du Neptune, le premier vaisseau faisant partie de l'expédition pour les Indes. Il est placé sous les ordres du capitaine Etienne Perrier Aimé. Cent quarante huit hommes ont pris place à bord, il est armé de trente six canons. Julien se dit que son tour arrivera prochainement. Effectivement, neuf jours plus tard, alors que Jean Baptiste est embarqué sur le vaisseau amiral, il retrouve Commertié et Mathieu. Tous les trois sont fort satisfaits car ils sont affectés ensemble sur la frégate Vierge de Grâce.
Dans ces casernes, il fera la connaissance d'autres engagés comme lui, exerçant toute sorte de métiers et venant des quatre coins de France. Leur âge peut varier de quinze à trente ans.
Il est de longue tradition dans la marine de donner aux soldats et hommes d'équipage de leur donner un nom de guerre, qualifiant leur physique, ou leur origine, dont à titre d'exemple :

 

- Nicolas Girardin,         dit Nancy,                                18 ans, tailleur,

- Nicolas Liegarle,         dit Dimanche,                        23 ans, venant de Verdun

- Pierre Nicolle,              dit Le Normand,                    20 ans

- François Robert,         dit Sans Rancune

- Jean de La Croix,        dit Paviers,                             18 ans, chandelier

- Léger Pierre-Joseph, dit Saint-Léger ou Flamand, car originaire de Lille

 

    Une mention particulière doit être faite pour le pseudonyme "Frappe d'Abord", que l'on rencontre à multiple reprises. Ainsi, Théodore Vinquier, engagé à Lorient en décembre  1723, embarque sur l'Hercule. Sa description est la suivante : "16 ans, natif de Meryo en Héneau, 5 pieds, visage rond, cheveux courts et châtains, les yeux gris a été reconnu pour fille se prénommant Madeleine, et débarqué à l'escale de Lisbonne.

 

 Elle épousa en Afrique à Mandée, Brousse, un jeune lieutenant du roi..."

 

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 (1)  C'est le poids transportable, souvent égal au poids du navire. Un tonneau = 2,83 m3  

 (2)  Il s'agit de la grotte d'Osselle à 25 kilomètres de Besançon (Doubs).Il y avait 2 à 3000 squelettes. C'était la plus importante nécropole mondiale d'ours des cavernes. Les animaux mesureraient 1,30 m au garrot, et 3,50 m en position dressée, avec un poids pouvant aller jusqu'à 450 kg. Les ossements sont disséminés dans de nombreux musés du monde, et beaucoup ont été volés.

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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 01:00

Depuis le début de l'été, Julien se rendait presque chaque jour au relais de Précigné (1), et étudiait consciencieusement le livre de poste où étaient notés le prix à payer et les distances entre les villes. Par souci d'économie, il a préféré faire la route à pieds, en se disant qu'il profiterait de toutes les occasions fluviales ou hippomobiles possibles qui se présenteraient à lui. Il a bien l'itinéraire en tête. D'abord aller plein sud sur Angers, afin de voir son frère Jean puis à l'ouest, direction Candé, passer de l'Anjou à la province de Bretagne. En marchant de huit à dix lieues par jour, il ne lui faudra pas plus d'une semaine pour arriver à destination. (2)

 

Le départ s'effectue "haut' heure", vers les quatre heures du matin, dans la nuit noire avec pour tout bagage quelques hardes, un morceau de chantiau (du pain), ses maigres économies. L'environnement.lui est familier : longer Le Souchay, puis La Paillarderie, faire attention aux chiens en passant devant le château de Bois Dauphin endormi, franchir le bourg de Précigné par son interminable rue qui s'étend de l'occident à l'orient, et passer vite la place de l'église. 

En une heure, il rejoint la rivière qui lui est familière, la Sarthe. Le moulin à blé de Pendu (3) s'offre à son regard. Il va bientôt abandonner les berges pour prendre le petit chemin qui le mène à Morannes. Il a chaud, et ne prête aucune attention à la différence de température que l'on constate habituellement. Il fait toujours légèrement plus froid à Morannes qu'à Précigné avec très souvent des pluies en automne. Il aime ce très joli bourg avec ses belles maisons entourant la place du marché, fortement animée les jours où c'est la grande foire.

Après avoir parcouru deux lieues de vastes prairies, dont on imagine qu'elles sont facilement inondables en hiver, il retrouve la rivière à Châteauneuf, ville pittoresque en pente douce, solidement campée sur la rive droite de la Sarthe. Il va traverser Moulin d'Ivray, Tiercé et Vérigné. A Briollay il se retrouve à la confluence de deux rivières, la Sarthe et le Loir qui vont former la Maine. Un peu plus loin, nouvelle confluence avec la Mayenne, d'où le nom adopté, Ecouflant. Magnifique village de pêcheurs (brochets, sandres, perches, silures, mulets) dans lequel des bourgeois se sont fait construire de grandes et fort belles maisons.

Enfin, voilà Angers, capitale de l'Anjou, une grande ville de 20 000 habitants, soit deux fois plus qu'au Mans. Le climat y est particulièrement doux ; un siècle et demi plus tôt, Joachim du Bellay parlait déjà de la douceur angevine. Retrouver Jean n'est pas trop difficile. Il habite, au centre ville prés du palais de justice où il est Greffier du siège Présidial, non loin de la vieille église Saint-Michel du Tertre, bâtie du temps de Charlemagne. Jeannot, c'est le grand frère, il a deux ans de plus que Julien. Comme lui, il est célibataire. Il a fait préparer par la servante un bon repas et notamment une spécialité locale ; Chez les gens de bonne société, on dit "une indécence de veau", mais entre deux hommes, ayant un bon coup de fourchette on préfère parler de cul de veau. De nos jours on appelle cela un quasi de veau. Le tout arrosé de bouteilles de vin soigneusement conservées et cachées derrière les fagots de bois stockés pour l'hiver Pour commencer une bouteille de rosé d'Anjou, puis un gamay fort gouleyant.Au dessert, une bonne assiette de millée (4) et des pouéres tapées (5). La discussion va bon train, sur la famille, sur l'avenir de la Roussonnière, la vie quotidienne de Jean, la grande aventure à laquelle se lance Juju…etc. Pour conclure et par automédication de précaution, juste avant d'aller se coucher une p'tite goutte afin de faciliter la digestion et permettre une bonne nuit reposante dans des draps délicatement parfumés à la bergamote

 

Le lendemain, grands adieux fraternels et chaleureux. Jean a largement rempli le pocheton du petit frère, afin de lui permettre de tenir quelques temps. Direction l'orient, là où le soleil disparait derrière l'horizon. Il devrait être le soir même à Candé, à dix lieues de là. C'est une longue journée à travers des zones marécageuses, ponctuées d' étangs qui alimentent un bon nombre de moulins à farine et tanneries, puis des forets de chênes blancs pédonculés très fiers de leur haute taille dépassant allégrement les cent dix à cent quarante pieds de haut.

 

A l'étape du soir, Julien se pose moult questions. Candé est exactement à mi-chemin entre Angers, le retour au pays est possible et Kastelle-Briant, la porte d'entrée de la Bretagne, autrement dit Châteaubriant, l'ouverture de l'aventure et de l'inconnu. Pour l'heure, il est trés difficile de se prononcer, il tombe de sommeil, et comme on le dit depuis plus de deux cents ans : "la nuit est mère de conseil". Une prière, vite expédiée, il ferme les yeux et s'endort.
Au petit matin, c'est sûr, il continue. Il parcourt une région boisée, parsemée d'étangs, sans faire attention au nom des villages : Vritz, Montplaisir, La Chapelle de Louvantes, Juigné, Le Pin, Saint-Julien, Pouancé. Trop absorbé, il marche tête baissée tel un cheval au labour.

 

Voici Châteaubriant, ville fortifiée avec un imposant château sur un affleurement rocheux la forteresse, au pied coule une rivière tranquille, la Chére, qui prend sa source à Juigné à proximité de Soudan, longue de seize lieues elle va se jeter dans la Vilaine. Comme il n'est pas beaucoup emballé par la ville de Châteaubriant il ne va pas s'attarder, et reprend la route.

 

Nouveaux villages : Louisfert, Lusanger, la Guillaumière, foret de Domnéche... etc. Passons.

 

Au bout de quatre heures de marche, le voici à Derval. Il ne sait pas pourquoi, mais l'endroit, couvert de chênes majestueux, des champs en lanières, entourés de haies d'ajoncs lui parait tout à la fois bien tranquille et un peu magique. Il ignore que le nom Derval est composé des deux mots bretons derw qui signifie chêne et val. C'est donc, bien évidemment une vallée.Pays magique, mais bien pauvre, avec des sols granitiques, maigres et acides. Les paysans manquent de pain, souvent même de châtaignes, de blé noir. Dans les prés quelques vaches blanches et noires s'abritent sous des pommiers. Comme elles paraissent petites, ne pesant pas plus de 400 kg ; Julien ne peut s'empêcher de les comparer aux vaches de Précigné, à la belle robe pie rouge foncé et des pattes blanches, lourdes, grosses pesant de 600 à 700 kg.

 

Soudain, un grand bruit le stoppe dans ses réflexions. Un lourd tombereau chargé de fumier et tiré par deux chevaux s'est enlisé non loin de là dans une ornière. Le fermier, qui est manchot a beau crier hue !, dia !, arrière, accompagnés d'onomatopées inconnues de Julien. Rien n'y fait, la charge est bien trop lourde, il faut alléger le chargement. Julien n'hésite pas un seul instant, pose à terre ses affaires, se saisit d'une fourche et grimpe sur le tas admirablement monté au carré. La seule parole échangée entre eux, viendra de Julien, et sera une maxime : "Il n'y a si bon charretier qui ne verse". En ¾ d'heure, le tombereau est vidé de moitié et les puissants chevaux tirent de toutes leurs forces. Les deux hommes font enfin connaissance. Le brave paysan, a pour nom Joseph, Joseph Ricou. Il a perdu son bras gauche, il y a bien une dizaine d'années, écrasé par une tour à broyer les pommes à cidre, mais il n'en dira guère davantage. Sa ferme se situe à quelques pas de là, après le bourg, derrière un petit bois, au hameau qu'on appelle la Touche, et invite Julien pour la nuit. Ils sont accueillis par Hélène, la femme de Joseph, occupée prés de la cheminée où crépite un bon feu de genêt à préparer le repas du soir. C'est une soupe de blé noir, la céréale du pauvre. Une grande bolée de cidre, un peu âpre et hop une grande nuit dans la grange, sur du bon foin sec d'ajoncs aplatis, avec la lune et quelques chèvres pour témoins.

 

    Nozvezh nat Julien, bonne nuit, Joseph.

 

Le lendemain, vers cinq ou six heures, alors qu'il fait grand nuit, il est réveillé par un grand  tintamarre. C'est la préparation de l'alimentation du troupeau de laitières juste avant la traite.

 

    Il est temps de prendre congé.

 

         Kenavo lance Julien.

 

          Beaj-vat !

         Chans-vat

 

Lui répond-on. Ce qui doit signifier quelque chose comme au revoir, bon voyage, bon courage, ou bonne chance.

 

Plus tard, un brin de toilette à la rivière. Rapide, car l'eau est bien fraiche en cette fin novembre. Est-ce la Chére qui l'a accompagné un bout de chemin depuis Châteubriant ou le Canut ? Qu'importe le nom, il faut poursuivre la route, et comme toujours cap à l'ouest. Tout en passant par des forêts de hêtres, il prend bien soin d'éviter de traverser Guémené-Penfao, le pays de légendes. Il ne peut malgré lui, tout en pressant le pas, se retenir de se remémorer le conte de la Belle dormant au bois que lui racontait sa maman, alors qu'il n'avait pas plus de deux ou trois ans (Il s'agit bien sûr du conte de Charles Perrault écrit en 1697) et surtout de la belle histoire de la très vieille, très laide et très méchante fée Carabosse, et, qui sait, peut être lointaine parente de Grand mère Kalle (6).

 

En passant un jour la rivière, la vieille fée se fit mal au talon. Ne pouvant se guérir elle même, elle eu recours aux bons soins d'un rebouteux du village qui sera sa prochaine étape, Redon. Le remède que celui-ci lui donna, loin de lui faire du bien, lui durcirent les talons, et à mesure que les jours passaient, les jambes se durcirent aussi, puis tout le corps, si bien que la mauvaise fée se trouva changée en pierre. Mais il parait que les nuits très sombres, elle retrouve sa mobilité et rode encore dans les bois de la vallée.

 

Après Guemené Penfao, 4,5 lieues plus loin le voici au confluent de l'Oust et de la Vilaine. C'est Redon, au nom d'origine celtique désigne un gué. Une très jolie ville avec de petites rues et de superbes maisons à pans de bois. Loin d'être assoupie la cité en misant sur des relations maritimes et fluviales est très active. Julien est en admiration, surpris de trouver là des navires de haute mer. Des trois mâts, en effet, peuvent remonter jusqu'à elle afin d'y décharger leurs cargaisons de vin, de sel de poissons, de fer venant d'Espagne, du charbon, des matériaux de construction. Le déchargement se fait à terre ou par transbordement sur des barges ou des bateaux fluviaux qui remontent la Vilaine jusqu'à Rennes. En échange, le port exporte du cidre, des ardoises, du bois du seigle, du cidre et du sel. Sel de Guérande et d'Ambon, qui est stocké dans 3 greniers. Le commerce est florissant, aussi les armateurs, possèdent-ils de très belles demeures en tuffeau avec de beaux balcons en fer forgé. Les rez de chaussée servent d'entrepôts, largement remplis de marchandises et étroitement surveillés.
 Une idée, lui passe par la tête : ne pourrait-il pas prendre un de ces bateaux qui descend la Vilaine et s'arrêter à la Roche Bernard ! A tout bien calculer, il y renonce, le gain sur un terrestre parcours n'est guère sensible, et il adore marcher et humer l'odeur de la campagne.

Il est hébergé pour une nuit à l'abbaye romane Saint-Sauveur, qui surplombe le quai Saint-Jacques. Il apprend que Richelieu a été l'abbé comandataire de cette abbaye. Il est fortement impressionné par l'immense tour de 27 m, bâtie sur 3 étages. Il y fait la connaissance de pèlerins. Deux viennent de Brest, un vient de Paimpol et de l'abbaye Beauport, et le dernier du Mont Saint-Michel. Ces quatre pèlerins lui expliquent que Redon est justement un point de rencontre des chemins de Bretagne en partance pour Saint-Jacques de Compostelle, avant de descendre sur Nantes, cette belle ville tout à la fois, religieuse, militaire et commerciale.

Aprés une longue, une trés longue journée à travers tout un territoire valloné avec de nombreux chemins qui mènent on ne sait jamais où, il va faire une bonne halte à Vannes. Vannes, siège du parlement breton est un lieu fort merveilleux bâti en amphithéâtre où la terre, le ciel et la mer se mêlent en paysages changeants et insolites. De nombreuses maisons à pans de bois, abritées sous les remparts ponctuent les rues étroites qui entourent la cathédrale Saint-Pierre. Il va se rafraichir auprès des nombreux lavoirs situés au bord des douves. Julien s'amuse des chants et des éclats de rires des jeunes lavandières. D'où lui vient cette chansonnette qui résonne dans sa tête ?  "Et tape et tape avec ton battoir… ".

 

Auray, traversée par le Loch, petit fleuve côtier qui débouche dans le golfe du Morbihan. La ville haute est sur la rive ouest de la rivière d'Auray. Le port de Saint-Goustan, sur la rivière d'Auray .Son aménagement, terminé depuis plus de 80 ans lui permet de recevoir des navires de haute mer, à la taille fort impressionnante. C'est à la fois un port de commerce et de pêche.
Le port d'Auray importe du vin, du sel, du cuir, du fer, de l'acier de Biscaye. Il exporte seigle et froment, de l'avoine, du beurre, de la viande, du poisson, également du drap et de la toile.

Maintenant la route serpente entre les champs labourés, la lande, les bois de pins maritimes. A Erdeven, il rencontre de bien jolies plages avec de grosses vagues, face à la houle de l'océan.

 

Arrivé à Belz, il est perdu ; à droite une large rivière, à gauche il a l'impression que la mer avance dans les terres. C'est une ria, la ria d'Etel. Une barque de pêcheurs se bat contre de forts courants et lutte désespérément pour s'éloigner du rivage et franchir un banc de sable.

 

  Comment allez plus loin, sur Plouhinec, il n'y a pas de passage ! C'est alors qu'il aperçoit  un panneau, enfoui dans l'herbe grasse sur lequel est inscrit d'une écriture fort malhabile :

 

"Pour le passeux, tiré la cloche"

 

Ce qu'il fait sans hésitation. Au bout de quelques minutes, un jeune garçon de 10 ou 11 ans arrive, et moyennant quelques pièces va lui faire franchir, la rivière. Seulement la barque prend l'eau. Julien a bien appris à nager dans la Voutonne, il n'en n'a pas pour autant le pied marin. Le passeur l'invite à écoper sans cesse et surtout beaucoup plus vite.

A Riantec, curieusement, la mer s'est retirée laissant découvrir l'estran. Des villageois de tous âges, que l'on appelle familièrement "les culs salés", culottes et jupes retroussées, accroupis, à mains nues ou avec des râteaux fouillent dans le sable. Intrigué, il s'approche et entame la conversation. Sous le terme générique de coquillages on lui montre des couteaux, berniques, praires, palourdes et coques. Il pense déguster plus tard ces curieuses petites bêtes, ainsi que bigorneaux, moules, crevettes, huitres et araignées de mer. C'est très loin d'être à son goût. Il préfère en rester avec son alimentation traditionnelle, une bonne assiette de soupe, brulante dans laquelle on fait tremper de larges tranches de pain, ou alors, suprême régal du repas.familial dominical, la brune confiture de cochon (7).faite par Anne Legras, sa chère maman
Un brouillard épais couvre tout l'horizon. En quelques pas, il pensait arriver à destination, qui, à vol d'oiseau est seulement à une lieue. Mais l'Orient est située tout au fond d'une baie protégée des ennemis et des fureurs de l'Atlantique où se jettent deux rivières, le Blavet et le Ponscorf, obligeant à faire un détour de cinq lieues, aussi pour traverser ce bras de mer, le bac s'impose. Sur sa gauche, il devine toute endormie, l'imposante citadelle de Port-Louis.

 

Il vient de parcourir soixante lieues en une semaine, ou peut-être plus, car il s'est trompé de routes à moult reprises. Il préfère pour quelques jours libertiner dans Lorient. Il peut bien prétendre à un bon bain chaud, une sérieuse coupe de la barbe et des cheveux, une serviette parfumée, et à un long repos Il lui faut trouver une bonne auberge, ou peut-être un de ces nombreux cabarets où l'on peut jouer aux dés ou aux cartes et qui donnent à souper et à coucher avec une jeune fille. Sans aucun doute, tout le reste de son maigre pécule va y passer. Qu'importe ! "Libertiner"; il y a de quoi sourire : cette expression d'origine latine "Libertunus" pour désigner l'esclave qui venait d'être libéré ou affranchi s'adapte parfaitement, libéré du joug familial, avant de se placer sous le joug de la hiérarchie militaire. Il se fait tard Nous sommes samedi, le vingt septième jour du mois de novembre. C'est décidé, il se donne alors deux jours. 

 

Deux jours de liberté et de repos dans un bon lit. Il signera son engagement, mardi matin

 

Dimanche, 7 heures, les cloches de l'église Saint-Louis retentissent, le jour va se lever, Julien a raté l'heure de la messe avec le nouveau curé, le Père François Cohaban, dont tout le monde parle. Il est là depuis 3 ans, et commence à peine à s'exprimer en breton, n'empêche, tous ses paroissiens l'estiment énormément. Notre ami Julien va consacrer cette journée à découvrir la ville et les environs, toucher de prés la mer, qui malgré tout, il doit l'avouer, lui fait peur.


L'Orient est une toute jeune ville, qui n'a pas 60 ans, créée après la naissance de la nouvelle Compagnie des Indes Orientales. Son nom s'écrit avec une apostrophe pour bien indiquer le port en liaison avec l'Orient. C'est une ville régulière, alignée et imparfaite L'avitaillement des navires en partance, fournit de considérables profits aux commerçants ainsi que la vente des marchandises ramenées des Indes. Le commerce est tellement florissant que cela entraine la construction d'immenses entrepôts et un fort développement de la population qui avoisinebien  les 6 ou 7 000 habitants. Ce chiffre doublera dans les 13 ans à venir. En ce jour dominical, devant leurs méchantes cabanes terrassées et non muraillées, couvertes de paille, faites de pieux en terre, les hommes jouent, sans se soucier des risques d'incendie très importants. Ils jouent aux quilles ou au jeu de paume. Certains s'exercent au tir à l'arc ou à l'arbalète.Tandis que les femmes, sur le pas de porte de leur maison s'occupent à filer, coudre ou brocher

 

Le lendemain, l'Orient, noire de monde, où se mêlent ouvriers, matelots, marchands, riches et pauvres ménagères a repris ses activités avec ses bruits, ses odeurs, ses encombrements.

Toute la place est couverte de poissons : des raies blanches, violettes, d'autres toutes hérissées d'épines, des chiens de mer, (des petits requins de fond) des congres monstrueux qui serpentent sur le pavé, de grands paniers pleins de crabes et de homards, des monceaux d'huitres, de moules, de pétoncles, des merlus, des soles, des turbots…  Enfin une pêche miraculeuse, comme celle des apôtres. (8)

 

Abandonnant la ville de l'Orient, Julien poursuit sa visite en direction de Port-Louis. Il va emprunter pour cela un minuscule bac. Port-Louis est bâti sur un sol granitique qui s'allonge entre la petite mer de Gaves à l'est et la rade de l'Orient au nord, à l'embouchure du Blavet et du Scorff. De chaque côté, deux anses forment des ports naturels. La citadelle se trouvant à l'entrée de la rade, est un fort imposant édifice construit en 1591 du temps de l'occupation espagnole. Cette citadelle a été, en partie démolie à la fin de l'occupation sept ans plus tard.

Port-Louis s'appelait autrefois le Havre du Blavet en l'honneur rendu au roi Louis XIII (1601-1643) car considérant, à partir de l'année 1618, sa position stratégique, il décida la reprise des travaux de fortification.

Port-Louis est une ville très ancienne et déserte orientée vers le commerce maritime, dont l'exportation de sardines pressées et de céréales de l'arrière pays, importation de vins de Gascogne et de Loire .Mais elle est pleine de charme discret et tout en nuances. Les maisons sont tantôt élégantes et hautaines, tantôt serrées les unes contre les autres et conviviales. Le Directeur de la Compagnie des Indes y a fait construire une superbe résidence, et tout le long de la plage, des baraques de pêcheurs avec toute une ribambelle de marmailles jouant à la toupie ou aux osselets ou sautant à la marelle. Pour l'atmosphère, laissons la parole à notre témoin, dont nous dévoilerons l'identité dans les pages qui suivent.

 

Il faisait très grand vent. Nous avons traversé la ville sans y rencontrer personne. J'ai vu des murs de la citadelle, l'horizon bien noir, l'île de Groix couverte de brume; la pleine mer fort agitée, au loin des gros vaisseaux à la cape.

Sur le rivage des troupes de femmes transies de froid et de crainte, une sentinelle à la ponte d'un bastion.Nous sommes rentrés dans notre auberge, les oreilles tout étourdies du bruit du vent et la mer. (9)

   

Cette longue marche de Julien Baret a été déterminée après un montage personnel de cartes Cassini, dressées entre 1756 et 1789, donc largement postérieures à l'année 1723

 

L'assemblage de 181 cartes forme la première carte générale et particulière du royaume de France, réalisée sur ordre de Louis XV.

 

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(1) C'était à l'époque une auberge. Aujourd'hui c'est une maison d'habitation.

(2) Une lieue équivaut à environ 4 kilomètres.

(3) Moulin où la roue à aubes est "pendue" et l'on régle la hauteur en fonction du niveau de l'eau.

(4) Recette sarthoise faite de mil, de lait et de sucre.

(5) En notant toutefois qu'il ne s'agit pas d'une graminée, mais d'une plante de la famille des polygonacées comme la rhubarbe et l'oseille.

(6) Personnage légendaire de la Réunion, associé à l'esclavage.

(7) Autrement dit les rillettes du Mans. Si la recette est connue depuis le XV° siècle, le terme n'apparait qu'en 1850.

(8) (9) Extraits de Bernardin de Saint-Pierre.

 

 

 

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