Depuis le début de l'été, Julien se rendait presque chaque jour au relais de Précigné (1), et étudiait consciencieusement le livre de poste où étaient notés le prix
à payer et les distances entre les villes. Par souci d'économie, il a préféré faire la route à pieds, en se disant qu'il profiterait de toutes les occasions fluviales ou hippomobiles possibles
qui se présenteraient à lui. Il a bien l'itinéraire en tête. D'abord aller plein sud sur Angers, afin de voir son frère Jean puis à l'ouest, direction Candé, passer de l'Anjou à la province de
Bretagne. En marchant de huit à dix lieues par jour, il ne lui faudra pas plus d'une semaine pour arriver à destination. (2)
Le départ s'effectue "haut' heure", vers les quatre heures du matin, dans la nuit noire avec pour tout bagage quelques hardes, un morceau de chantiau (du
pain), ses maigres économies. L'environnement.lui est familier : longer Le Souchay, puis La Paillarderie, faire attention aux chiens en passant devant le château de Bois Dauphin endormi, franchir
le bourg de Précigné par son interminable rue qui s'étend de l'occident à l'orient, et passer vite la place de l'église.
En une heure, il rejoint la rivière qui lui est familière, la Sarthe. Le moulin à blé de Pendu (3) s'offre à son regard. Il va bientôt abandonner les berges pour
prendre le petit chemin qui le mène à Morannes. Il a chaud, et ne prête aucune attention à la différence de température que l'on constate habituellement. Il fait toujours légèrement plus froid à
Morannes qu'à Précigné avec très souvent des pluies en automne. Il aime ce très joli bourg avec ses belles maisons entourant la place du marché, fortement animée les jours où c'est la grande
foire.
Après avoir parcouru deux lieues de vastes prairies, dont on imagine qu'elles sont facilement inondables en hiver, il retrouve la rivière à Châteauneuf, ville
pittoresque en pente douce, solidement campée sur la rive droite de la Sarthe. Il va traverser Moulin d'Ivray, Tiercé et Vérigné. A Briollay il se retrouve à la confluence de deux rivières, la
Sarthe et le Loir qui vont former la Maine. Un peu plus loin, nouvelle confluence avec la Mayenne, d'où le nom adopté, Ecouflant. Magnifique village de pêcheurs (brochets, sandres,
perches, silures, mulets) dans lequel des bourgeois se sont fait construire de grandes et fort belles maisons.
Enfin, voilà Angers, capitale de l'Anjou, une grande ville de 20 000 habitants, soit deux fois plus qu'au Mans. Le climat y est particulièrement doux ; un siècle et demi plus tôt, Joachim du
Bellay parlait déjà de la douceur angevine. Retrouver Jean n'est pas trop difficile. Il habite, au centre ville prés du palais de justice où il est Greffier du siège Présidial, non loin de la
vieille église Saint-Michel du Tertre, bâtie du temps de Charlemagne. Jeannot, c'est le grand frère, il a deux ans de plus que Julien. Comme lui, il est célibataire.
Il a fait préparer par la servante un bon repas et notamment une spécialité locale ; Chez les gens de bonne société, on dit "une indécence de veau", mais entre deux hommes, ayant un bon coup de
fourchette on préfère parler de cul de veau. De nos jours on appelle cela un quasi de veau. Le tout arrosé de bouteilles de vin soigneusement conservées et cachées derrière les fagots de bois
stockés pour l'hiver Pour commencer une bouteille de rosé d'Anjou, puis un gamay fort gouleyant.Au dessert, une bonne assiette de millée (4) et des pouéres tapées (5). La discussion va bon train,
sur la famille, sur l'avenir de la Roussonnière, la vie quotidienne de Jean, la grande aventure à laquelle se lance Juju…etc. Pour conclure et par automédication de précaution, juste avant
d'aller se coucher une p'tite goutte afin de faciliter la digestion et permettre une bonne nuit reposante dans des draps délicatement parfumés à la bergamote
Le lendemain, grands adieux fraternels et chaleureux. Jean a largement rempli le pocheton du petit frère, afin de lui permettre de tenir quelques temps. Direction l'orient, là où le soleil
disparait derrière l'horizon. Il devrait être le soir même à Candé, à dix lieues de là. C'est une longue journée à travers des zones marécageuses, ponctuées d' étangs qui alimentent un bon nombre
de moulins à farine et tanneries, puis des forets de chênes blancs pédonculés très fiers de leur haute taille dépassant allégrement les cent dix à cent quarante pieds de haut.
A l'étape du soir, Julien se pose moult questions. Candé est exactement à mi-chemin entre Angers, le retour au pays est possible et Kastelle-Briant, la porte d'entrée de la Bretagne, autrement
dit Châteaubriant, l'ouverture de l'aventure et de l'inconnu. Pour l'heure, il est trés difficile de se prononcer, il tombe de sommeil, et comme on le dit depuis plus de deux cents ans : "la nuit
est mère de conseil". Une prière, vite expédiée, il ferme les yeux et s'endort.
Au petit matin, c'est sûr, il continue. Il parcourt une région boisée, parsemée d'étangs, sans faire attention au nom des villages : Vritz, Montplaisir, La Chapelle de Louvantes, Juigné, Le Pin,
Saint-Julien, Pouancé. Trop absorbé, il marche tête baissée tel un cheval au labour.
Voici Châteaubriant, ville fortifiée avec un imposant château sur un affleurement rocheux la forteresse, au pied coule une rivière tranquille, la Chére, qui prend sa source à Juigné à proximité
de Soudan, longue de seize lieues elle va se jeter dans la Vilaine. Comme il n'est pas beaucoup emballé par la ville de Châteaubriant il ne va pas s'attarder, et reprend la route.
Nouveaux villages : Louisfert, Lusanger, la Guillaumière, foret de Domnéche... etc. Passons.
Au bout de quatre heures de marche, le voici à Derval. Il ne sait pas pourquoi, mais l'endroit, couvert de chênes majestueux, des champs en lanières, entourés de haies d'ajoncs lui parait tout à
la fois bien tranquille et un peu magique. Il ignore que le nom Derval est composé des deux mots bretons derw qui signifie chêne et val. C'est donc, bien évidemment une vallée.Pays magique, mais
bien pauvre, avec des sols granitiques, maigres et acides. Les paysans manquent de pain, souvent même de châtaignes, de blé noir. Dans les prés quelques vaches blanches et noires s'abritent sous
des pommiers. Comme elles paraissent petites, ne pesant pas plus de 400 kg ; Julien ne peut s'empêcher de les comparer aux vaches de Précigné, à la belle robe pie rouge foncé et des pattes
blanches, lourdes, grosses pesant de 600 à 700 kg.
Soudain, un grand bruit le stoppe dans ses réflexions. Un lourd tombereau chargé de fumier et tiré par deux chevaux s'est enlisé non loin de là dans une ornière. Le fermier, qui est manchot
a beau crier hue !, dia !, arrière, accompagnés d'onomatopées inconnues de Julien. Rien n'y fait, la charge est bien trop lourde, il faut alléger le chargement. Julien n'hésite pas un seul
instant, pose à terre ses affaires, se saisit d'une fourche et grimpe sur le tas admirablement monté au carré. La seule parole échangée entre eux, viendra de Julien, et sera une maxime : "Il n'y
a si bon charretier qui ne verse". En ¾ d'heure, le tombereau est vidé de moitié et les puissants chevaux tirent de toutes leurs forces. Les deux hommes font enfin connaissance. Le brave paysan,
a pour nom Joseph, Joseph Ricou. Il a perdu son bras gauche, il y a bien une dizaine d'années, écrasé par une tour à broyer les pommes à cidre, mais il n'en dira guère davantage. Sa ferme se
situe à quelques pas de là, après le bourg, derrière un petit bois, au hameau qu'on appelle la Touche, et invite Julien pour la nuit. Ils sont accueillis par Hélène, la femme de Joseph, occupée
prés de la cheminée où crépite un bon feu de genêt à préparer le repas du soir. C'est une soupe de blé noir, la céréale du pauvre. Une grande bolée de cidre, un peu âpre et hop une grande nuit
dans la grange, sur du bon foin sec d'ajoncs aplatis, avec la lune et quelques chèvres pour témoins.
Nozvezh nat Julien, bonne nuit, Joseph.
Le lendemain, vers cinq ou six heures, alors qu'il fait grand nuit, il est réveillé par un grand tintamarre. C'est la préparation de l'alimentation du troupeau de laitières juste avant la
traite.
Il est temps de prendre congé.
Kenavo lance Julien.
Beaj-vat !
Chans-vat
Lui répond-on. Ce qui doit signifier quelque chose comme au revoir, bon voyage, bon courage, ou bonne chance.
Plus tard, un brin de toilette à la rivière. Rapide, car l'eau est bien fraiche en cette fin novembre. Est-ce la Chére qui l'a accompagné un bout de chemin depuis Châteubriant ou le Canut ?
Qu'importe le nom, il faut poursuivre la route, et comme toujours cap à l'ouest. Tout en passant par des forêts de hêtres, il prend bien soin d'éviter de
traverser Guémené-Penfao, le pays de légendes. Il ne peut malgré lui, tout en pressant le pas, se retenir de se remémorer le conte de la Belle dormant au bois que lui racontait sa maman, alors
qu'il n'avait pas plus de deux ou trois ans (Il s'agit bien sûr du conte de Charles Perrault écrit en 1697) et surtout de la belle histoire de la très vieille, très laide et très
méchante fée Carabosse, et, qui sait, peut être lointaine parente de Grand mère Kalle (6).
En passant un jour la rivière, la vieille fée se fit mal au talon. Ne pouvant se guérir elle même, elle eu recours aux bons soins d'un rebouteux du village
qui sera sa prochaine étape, Redon. Le remède que celui-ci lui donna, loin de lui faire du bien, lui durcirent les talons, et à mesure que les jours passaient, les jambes se durcirent aussi, puis
tout le corps, si bien que la mauvaise fée se trouva changée en pierre. Mais il parait que les nuits très sombres, elle retrouve sa mobilité et rode encore dans les bois de la vallée.
Après Guemené Penfao, 4,5 lieues plus loin le voici au confluent de l'Oust et de la Vilaine. C'est Redon, au nom d'origine celtique désigne un gué. Une très jolie ville avec de petites rues et de
superbes maisons à pans de bois. Loin d'être assoupie la cité en misant sur des relations maritimes et fluviales est très active. Julien est en admiration, surpris de trouver là des navires
de haute mer. Des trois mâts, en effet, peuvent remonter jusqu'à elle afin d'y décharger leurs cargaisons de vin, de sel de poissons, de fer venant d'Espagne, du charbon, des matériaux
de construction. Le déchargement se fait à terre ou par transbordement sur des barges ou des bateaux fluviaux qui remontent la Vilaine jusqu'à Rennes. En échange, le port exporte du cidre, des
ardoises, du bois du seigle, du cidre et du sel. Sel de Guérande et d'Ambon, qui est stocké dans 3 greniers. Le commerce est florissant, aussi les armateurs, possèdent-ils de très belles
demeures en tuffeau avec de beaux balcons en fer forgé. Les rez de chaussée servent d'entrepôts, largement remplis de marchandises et étroitement surveillés.
Une idée, lui passe par la tête : ne pourrait-il pas prendre un de ces bateaux qui descend la Vilaine et s'arrêter à la Roche Bernard ! A tout bien calculer, il y renonce, le gain sur un
terrestre parcours n'est guère sensible, et il adore marcher et humer l'odeur de la campagne.
Il est hébergé pour une nuit à l'abbaye romane Saint-Sauveur, qui surplombe le quai Saint-Jacques. Il apprend que Richelieu a été l'abbé comandataire de cette abbaye. Il est fortement
impressionné par l'immense tour de 27 m, bâtie sur 3 étages. Il y fait la connaissance de pèlerins. Deux viennent de Brest, un vient de Paimpol et de l'abbaye Beauport, et le dernier du Mont
Saint-Michel. Ces quatre pèlerins lui expliquent que Redon est justement un point de rencontre des chemins de Bretagne en partance pour Saint-Jacques de Compostelle, avant de descendre sur
Nantes, cette belle ville tout à la fois, religieuse, militaire et commerciale.
Aprés une longue, une trés longue journée à travers tout un territoire valloné avec de
nombreux chemins qui mènent on ne sait jamais où, il va faire une bonne halte à Vannes. Vannes, siège du parlement breton est un lieu fort merveilleux bâti en amphithéâtre où la terre, le ciel et
la mer se mêlent en paysages changeants et insolites. De nombreuses maisons à pans de bois, abritées sous les remparts ponctuent les rues étroites qui entourent la cathédrale Saint-Pierre. Il va
se rafraichir auprès des nombreux lavoirs situés au bord des douves. Julien s'amuse des chants et des éclats de rires des jeunes lavandières. D'où lui vient cette chansonnette qui résonne dans sa
tête ? "Et tape et tape avec ton battoir… ".
Auray, traversée par le Loch, petit fleuve côtier qui débouche dans le golfe du Morbihan. La ville haute est sur la rive ouest de la rivière d'Auray. Le port de Saint-Goustan, sur la rivière
d'Auray .Son aménagement, terminé depuis plus de 80 ans lui permet de recevoir des navires de haute mer, à la taille fort impressionnante. C'est à la fois un port de commerce et de pêche.
Le port d'Auray importe du vin, du sel, du cuir, du fer, de l'acier de Biscaye. Il exporte seigle et froment, de l'avoine, du beurre, de la viande, du poisson, également du drap et de la toile.
Maintenant la route serpente entre les champs labourés, la lande, les bois de pins maritimes. A Erdeven, il rencontre de bien jolies plages avec de grosses vagues, face à la houle de l'océan.
Arrivé à Belz, il est perdu ; à droite une large rivière, à gauche il a l'impression que la mer avance dans les terres. C'est une ria, la ria d'Etel. Une barque de pêcheurs se bat contre de forts
courants et lutte désespérément pour s'éloigner du rivage et franchir un banc de sable.
Comment allez plus loin, sur Plouhinec, il n'y a pas de passage ! C'est alors qu'il aperçoit un panneau, enfoui dans l'herbe grasse sur lequel est inscrit d'une écriture fort
malhabile :
"Pour le passeux, tiré la cloche"
Ce qu'il fait sans hésitation. Au bout de quelques minutes, un jeune garçon de 10 ou 11 ans arrive, et moyennant quelques pièces va lui faire franchir, la rivière. Seulement la barque prend
l'eau. Julien a bien appris à nager dans la Voutonne, il n'en n'a pas pour autant le pied marin. Le passeur l'invite à écoper sans cesse et surtout beaucoup plus vite.
A Riantec, curieusement, la mer s'est retirée laissant découvrir l'estran. Des villageois de tous âges, que l'on appelle familièrement "les culs salés", culottes et jupes retroussées, accroupis,
à mains nues ou avec des râteaux fouillent dans le sable. Intrigué, il s'approche et entame la conversation. Sous le terme générique de coquillages on lui montre des couteaux, berniques, praires,
palourdes et coques. Il pense déguster plus tard ces curieuses petites bêtes, ainsi que bigorneaux, moules, crevettes, huitres et araignées de mer. C'est très loin d'être à son goût. Il préfère
en rester avec son alimentation traditionnelle, une bonne assiette de soupe, brulante dans laquelle on fait tremper de larges tranches de pain, ou alors, suprême régal du repas.familial
dominical, la brune confiture de cochon (7).faite par Anne Legras, sa chère maman
Un brouillard épais couvre tout l'horizon. En quelques pas, il pensait arriver à destination, qui, à vol d'oiseau est seulement à une lieue. Mais l'Orient est située
tout au fond d'une baie protégée des ennemis et des fureurs de l'Atlantique où se jettent deux rivières, le Blavet et le Ponscorf, obligeant à faire un détour de cinq lieues, aussi pour traverser
ce bras de mer, le bac s'impose. Sur sa gauche, il devine toute endormie, l'imposante citadelle de Port-Louis.
Il vient de parcourir soixante lieues en une semaine, ou peut-être plus, car il s'est trompé de routes à moult reprises. Il préfère pour quelques jours
libertiner dans Lorient. Il peut bien prétendre à un bon bain chaud, une sérieuse coupe de la barbe et des cheveux, une serviette parfumée, et à un long repos Il lui faut trouver une bonne
auberge, ou peut-être un de ces nombreux cabarets où l'on peut jouer aux dés ou aux cartes et qui donnent à souper et à coucher avec une jeune fille. Sans aucun doute, tout le reste de son maigre
pécule va y passer. Qu'importe ! "Libertiner"; il y a de quoi sourire : cette expression d'origine latine "Libertunus" pour désigner l'esclave qui venait d'être libéré ou affranchi s'adapte
parfaitement, libéré du joug familial, avant de se placer sous le joug de la hiérarchie militaire. Il se fait tard Nous sommes samedi, le vingt septième jour du mois de novembre. C'est décidé, il
se donne alors deux jours.
Deux jours de liberté et de repos dans un bon lit. Il signera son engagement, mardi matin
Dimanche, 7 heures, les cloches de l'église Saint-Louis retentissent, le jour va se lever, Julien a raté l'heure de la messe avec le nouveau curé, le Père François Cohaban, dont tout le monde
parle. Il est là depuis 3 ans, et commence à peine à s'exprimer en breton, n'empêche, tous ses paroissiens l'estiment énormément. Notre ami Julien va consacrer cette journée à découvrir la ville
et les environs, toucher de prés la mer, qui malgré tout, il doit l'avouer, lui fait peur.
L'Orient est une toute jeune ville, qui n'a pas 60 ans, créée après la naissance de la nouvelle Compagnie des Indes Orientales. Son nom s'écrit avec une apostrophe pour bien indiquer le port en
liaison avec l'Orient. C'est une ville régulière, alignée et imparfaite L'avitaillement des navires en partance, fournit de considérables profits aux commerçants ainsi que la vente des
marchandises ramenées des Indes. Le commerce est tellement florissant que cela entraine la construction d'immenses entrepôts et un fort développement de la population qui avoisinebien les 6
ou 7 000 habitants. Ce chiffre doublera dans les 13 ans à venir. En ce jour dominical, devant leurs méchantes cabanes terrassées et non muraillées, couvertes de paille, faites de pieux en terre,
les hommes jouent, sans se soucier des risques d'incendie très importants. Ils jouent aux quilles ou au jeu de paume. Certains s'exercent au tir à l'arc ou à l'arbalète.Tandis que les femmes, sur
le pas de porte de leur maison s'occupent à filer, coudre ou brocher
Le lendemain, l'Orient, noire de monde, où se mêlent ouvriers, matelots, marchands, riches et pauvres ménagères a repris ses activités avec ses bruits, ses odeurs, ses encombrements.
Toute la place est couverte de poissons : des raies blanches, violettes, d'autres toutes hérissées d'épines, des chiens de mer, (des petits requins de fond) des congres monstrueux qui
serpentent sur le pavé, de grands paniers pleins de crabes et de homards, des monceaux d'huitres, de moules, de pétoncles, des merlus, des soles, des turbots… Enfin une pêche
miraculeuse, comme celle des apôtres. (8)
Abandonnant la ville de l'Orient, Julien poursuit sa visite en direction de Port-Louis. Il va emprunter pour cela un minuscule bac. Port-Louis est bâti sur un sol granitique qui s'allonge entre
la petite mer de Gaves à l'est et la rade de l'Orient au nord, à l'embouchure du Blavet et du Scorff. De chaque côté, deux anses forment des ports naturels. La citadelle se trouvant à l'entrée de
la rade, est un fort imposant édifice construit en 1591 du temps de l'occupation espagnole. Cette citadelle a été, en partie démolie à la fin de l'occupation sept ans plus tard.
Port-Louis s'appelait autrefois le Havre du Blavet en l'honneur rendu au roi Louis XIII (1601-1643) car considérant, à partir de l'année 1618, sa position stratégique, il décida la reprise des
travaux de fortification.
Port-Louis est une ville très ancienne et déserte orientée vers le commerce maritime, dont l'exportation de sardines pressées et de céréales de l'arrière pays, importation de vins de Gascogne et
de Loire .Mais elle est pleine de charme discret et tout en nuances. Les maisons sont tantôt élégantes et hautaines, tantôt serrées les unes contre les autres et conviviales. Le Directeur de la
Compagnie des Indes y a fait construire une superbe résidence, et tout le long de la plage, des baraques de pêcheurs avec toute une ribambelle de marmailles jouant à la toupie ou aux osselets ou
sautant à la marelle. Pour l'atmosphère, laissons la parole à notre témoin, dont nous dévoilerons l'identité dans les pages qui suivent.
Il faisait très grand vent. Nous avons traversé la ville sans y rencontrer personne. J'ai vu des murs de la citadelle, l'horizon bien noir, l'île de Groix
couverte de brume; la pleine mer fort agitée, au loin des gros vaisseaux à la cape.
Sur le rivage des troupes de femmes transies de froid et de crainte, une sentinelle à la ponte d'un bastion.Nous sommes
rentrés dans notre auberge, les oreilles tout étourdies du bruit du vent et la mer. (9)
Cette longue marche de Julien Baret a été déterminée après un montage personnel de cartes Cassini, dressées entre 1756 et 1789, donc largement postérieures à l'année 1723
L'assemblage de 181 cartes forme la première carte générale et particulière du royaume de France, réalisée sur ordre de Louis XV.
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(1) C'était à l'époque une auberge. Aujourd'hui c'est une maison d'habitation.
(2) Une lieue équivaut à environ 4 kilomètres.
(3) Moulin où la roue à aubes est "pendue" et l'on régle la hauteur en fonction du niveau de l'eau.
(4) Recette sarthoise faite de mil, de lait et de sucre.
(5) En notant toutefois qu'il ne s'agit pas d'une graminée, mais d'une plante de la famille des polygonacées comme la rhubarbe et l'oseille.
(6) Personnage légendaire de la Réunion, associé à l'esclavage.
(7) Autrement dit les rillettes du Mans. Si la recette est connue depuis le XV° siècle, le terme n'apparait qu'en 1850.
(8) (9) Extraits de Bernardin de Saint-Pierre.