Le gouverneur Hélie Dioré quitta Bourbon le 28 mai 1727, et fut remplacé Par Pierre Benoit Dumas qui arriva deux mois après sur le Solide. Il se mit immédiatement à accorder dans le sud des concessions agricoles. Neuf contrats furent ainsi proposés au-delà de la rivière Saint-Etienne. Puis, cinquante sept dans les villes de l'Entre-Deux, Petite Ile, et Saint-Joseph.
Durant les huit années de gestion du gouverneur Dumas, c'est un total de deux cent quarante quatre concessions agricoles qui furent consenties, soit une moyenne annuelle de trente.
Les Payet et les Hoarau qui avaient déjà des terres à Saint-Paul et dans le sud se précipitèrent en nombre dans ce secteur que l'on appellera plus tard la Ligne des Bambous. Aujourd'hui c'est un
lieu-dit, en plein essor de 6 000 habitants dépendant de la commune de Saint-Pierre. En approfondissant la connaissance des attributaires, il est indéniable que les liens entre les Payet et les
Hoarau sont étroitement liées. Julien, encore novice tant dans les transactions que dans les pratiques culturales s'est vu entrainé, bien malgré lui, par son beau père Laurent Payet et sa chère
épouse, Barbe, dans cette captivante aventure, devenir colon à Bourbon.
Ce plan fut dressé quatre vingts ans aprés l'attribution des terres, par Antoine Denis Selhausen, ingénieur géographe, arpenteur, juré des tribunaux de la colonie. Par chance, le nom des premiers concessionnaires est conservé .
Julien Baret obtient le treize décembre mil sept cent vingt sept, le lot numéro 33 que l'acte décrit ainsi :
Un terrain situé entre la ravine blanche et la rivière Dabord, borné d'un côté de la concession d'Estienne Hoarau le Jeune, et de l'autre de celle de Laurent Payet, en bas d'une ligne horizontalle tirée d'une ravine à l'autre. Sur cette ligne la concession de Julien Baret aura en largeur trente gaulettes de quinze pieds chaque (1) . La borne d'en haut, sera le sommet de la montagne en observant que le terrain diminuera ou augmentera en largeur, à proportion que les ravines s'ouvriront ou se fermeront par en haut. (2) .
La mise en valeur de la concession devra impérativement se faire dans un délai de trois ans, bien que la sanction de retrait ne soit pas explicitement prévue. Nous nous trouvons bien en présence d'un acte de propriété, à titre gratuit, mais à condition de verser chaque année à la Compagnie des Indes un mouton et une redevance de "quatre onces de caffé par arpent" de terres défrichables payable en deux termes, moitié à Pâques, moitié à la Saint-Martin. (3)
Ce plan est extrait de l'ouvrage de Jean-Claude Félix Fontaine "Deux siècles et demi de l'histoire d'une famille rèunionnaise", volume 1, Les aventuriers.
En 1735, Julien Baret fait valoir quatre vingt quinze hectares de terres, friches et terres en rapport confondues. Il élève trente bœufs, trente moutons, dix cabris, vingt cochons et vingt poules. Il cultive des fayots, du maïs, du blé, des patates, mais surtout une caféière de 9000 caféiers en rapport, dont il espère obtenir 3000 livres de café. Il faut dire que pour Julien, comme pour tous les concessionnaires une seule culture s'imposa, celle "du caffé originaire du port de Moka", au Yémen. Cette spéculation en plein essor dans l'île. A son arrivée, en décembre 1724, la production atteignait péniblement les 3 400 livres de café. Deux ans plus tard, le navire l'Apollon, commandé par Gilles Lebrun de la Franquerie qui faisait partie de l'expédition de 1724 rejoignait Lorient avec un chargement de 180 000 livres d'un excellent café qui allait devenir fort réputé tant en France que dans toute l'Europe.
Bientôt toutes les pentes de l'île, jusqu'à quatre cent mètres d'altitude, seront couvertes de caféières.
Dans une lette adressée au Ministre des colonies, du 27 avril 1728, le gouverneur Benoit Dumas écrit :
. ..On ne peut rien voir de plus beau que les plantations de café qui se multiplient à l'infini.
Cette île sera dans peu de temps capable d'en fournir au-delà de la consommation du royaume.
Le caféier est un bel arbre de cinq ou six mètres de haut. Il commence à produire un kilo de jolies cerises dés la troisième année de plantation. Par la suite, on peut récolter prés de quatre kilos par arbre. Les fleurs de caféier sont blanches. Elles apparaissent toutes au même moment en dégageant un délicieux parfum que les spécialistes trouvent proche du jasmin.
Pour mettre en valeur leur concession agricole, Julien Baret d'Anjou (cette précision est apportée dans les textes) et Barbe Payet, créole (c'est à dire née dans l'île) faisaient appel à du personnel, en plus de Tanane. On relève notamment André, quarante ans et Agathe, trente cinq ans un couple de Malgaches reçu en héritage en 1730, des parents de Barbe (4). En 1732, la mise en valeur de l'exploitattion est confiée à un jeune noir, libre de dix huit ans, répondant au nom de Thonique, qui joue le rôle de commandeur.
Au recensement de l'année 1735, ils sont répertoriés comme employeurs d'une vingtaine d'esclaves, dont treize adultes valides et ont comme économe le fameux Jacques Moreau que Julien avait connu à Lorient. Son surnom en dit long sur son principal défaut car on l'appelle "Vuide bouteilles", et notamment de flangourin, un jus de cannes fermenté durant quelques jours, et pour Jean Bernardin, en 1686 présente un goût fort flatteur, s'apparentant au bon cidre de Normandie ou de Bretagne mais aussi fort préjudiciable quand pris en excès (5). Le 23 septembre 1741, Julien Baret engage pour cinq ans, Charles Lacan ,qui était commandeur depuis deux ans chez un certain Jean Baptiste Bouchard de la Tour, un ancien officier des troupes.
Le 5 juin 1744, Lacan, engage pour quatre ans Desmaret et établit avec lui un type de contrat de louage de service pouvant s'apparenter à un contrat type de société de services. Desmaret doit demeurer sur l'habitation de Baret "chirurgien", la cultiver en bon économe. Desmaret y mettra six esclaves qui lui appartiennent, plus vingt cinq brebis et une quantité de vivres seront payés par moitié. Les frais de médicaments et de pansements seront payés par moitié par les deux parties. Desmaret devra tenir à disposition les comptes.
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(1) Il s'agit de la définition règlementaire adoptée par une ordonnance du Conseil Provincial en date du 24 février 1715 qui fixe et unifie la dimension de la gaulette à 15 pieds. Sachant qu'un pied équivaut à 32,48 cm, une gaulette est donc l'équivalent de 4,872 mètres. L'unité de surface qui en découle est la gaulette carrée correspondant à 23,736 mètres carrés. Il est bien évident que ces unités de mesure n'ont plus cours aujourd'hui.
Dans les années 1965-1966, en notre qualité de conseiller agricole, nous parlions couramment de gaulettes en simplifiant les calculs : une gaulette égale cinq mètres, la gaulette carrée est l'équivalent de vingt cinq mètres carrés. Il y a par conséquent quatre cents gaulettes carrés dans un hectare.
(2) L'île Bourbon se présente comme un tronc de cône, se rétrécissant au sommet, et truffé de ravines, formées par la jonction de plusieurs thalwegs. La largeur de la concession est par conséquent variable.
(3) A la Saint- Martin, qui se célèbre le 11 novembre, il est de coutume dans de nombreuses régions de France de dire "l'hiver est en chemin", et de procéder au règlement des fermages et métayages.
(4) Leur valeur est de 600 livres, sans oublier leur fille, Pélagie, 3 ans, dont la valeur est de 110 livres.
(5) Ne pas confondre avec l'arack, ou eau de vie de canne qui apparaitra beaucoup plus tard .